Secrets d’otage Article paru dans l’édition du 10.03.11
C’est en revenant d’Inde qu’Antoine Falsaperla a été enlevé, en mai 2009, à la frontière entre Iran, Pakistan et Afghanistan. Le Français sera détenu pendant trois mois par des groupes baloutches, en toute discrétion : le Quai d’Orsay avait interdit à sa famille d’alerter les médias
Antoine Falsaperla fait partie de ces otages français dont le grand public n’a jamais entendu le nom. Et ses douleurs restent muettes. « Qui peut les entendre ? », glisse ce carreleur de l’Ain. Une partie de ses proches n’osent toujours pas le questionner sur ses trois mois de captivité, et les autres préfèrent esquiver le sujet pour ne pas avoir à affronter la révélation des souffrances endurées. Aussi l’annonce de la mort, en janvier, de deux otages français au Niger, ou l’exécution de Michel Germaneau, en juillet 2010, ont-elles eu un écho particulier chez ce quadragénaire. « Ces morts ont ravivé des douleurs qui s’étaient faites plus discrètes. »
Enlevé, le 23 mai 2009, à la frontière entre le Pakistan, l’Afghanistan et l’Iran, Antoine Falsaperla a été maintenu captif dans la zone désertique du Baloutchistan que ses ravisseurs lui faisaient parcourir, sous les coups, lors de longues marches. Après être passé entre les mains de trois groupes de contrebandiers baloutches, qui ajoutent les étrangers aux autres produits de leur commerce et craignent autant les talibans que les avions américains rayonnant depuis le sud de l’Afghanistan, il a recouvré la liberté le 21 août avec l’aide de la police pakistanaise.
Dans ce Baloutchistan lointain et hostile, il comptait parmi ces voyageurs qui cinglent, à bord de leur camion, entre l’Orient et l’Occident, comme d’autres parcourent les océans. En dépit de la guerre afghane et d’une situation tendue au Pakistan, ils sont en effet encore un certain nombre à « faire la route » entre l’Europe et Goa, en Inde. Faute de pouvoir transiter par l’Afghanistan comme les routards des années 1970, ils atteignent leur destination en traversant l’Iran, puis le Baloutchistan pakistanais, avant de remonter jusqu’à Islamabad, où ils attendent leur visa pour l’Inde.
Depuis l’an 2000, Antoine Falsaperla se rend régulièrement à Goa pour des séjours de plusieurs mois. Il y effectue des retraites bouddhistes, et suit l’enseignement du maître Chhimed Rigdzin Rinpoché. Lors de l’hiver 2008, au monastère, il avait sacrifié au rite bouddhiste de l’allumage des 111 000 lampes à beurre. Puis il était resté vivre, comme une centaine d’Occidentaux, à Goa, en véritable communauté. « Moi, j’habitais à l’écart, dans un petit village au nord de Goa. » Au cours de ce séjour, il rencontre Florent, un Grenoblois handicapé après un accident de montagne, dont la vie en chaise roulante ne l’empêchait pas de circuler à bord d’un camion Mercedes aménagé.
« Sa copine est morte à Goa, raconte Antoine Falsaperla. J’ai décidé de l’aider à ramener le camion en France, alors que je devais rentrer en avion. » Sur le chemin du retour, au Pakistan, ils s’installent, le 23 avril, au camping d’Islamabad, protégé par l’armée, et attendent un mois leur visa pour l’Iran. Ils s’aventurent alors jusqu’à Peshawar. Porte d’entrée des zones tribales pakistanaises, c’est une terre pachtoune où l’insurrection fait la guerre à Islamabad et soutient les talibans afghans ligués contre l’OTAN de l’autre côté de la frontière. « On n’est pas restés longtemps : quand on est arrivés à l’hôtel, une Chinoise nous a dit que son ami était en prison depuis trois semaines parce qu’il n’avait pas de papiers en règle. Or, on avait les mêmes. »
Le 23 mai, Antoine Falsaperla et Florent sont déjà à Quetta, au sud du Pakistan. Il leur reste 600 km d’une route déserte et mangée par le sable à parcourir avant de rejoindre la frontière iranienne. Il leur faut traverser le Baloutchistan pakistanais. Sur leur droite, ils voient l’Afghanistan. Ils voyagent en convoi avec un autre camion, occupé par un couple de Français, Nicolas et Sylvia, et leurs deux enfants. « Quand nous sommes partis à 4 heures du matin de Quetta, un homme pleurait devant la porte de ma chambre, j’ai trouvé ça bizarre, comme un signe. »
A 80 km de l’Iran, Antoine et Florent s’arrêtent pour manger, mais leurs amis leur demandent de redémarrer, estimant le danger trop grand. « On allait repartir, raconte le futur otage, quand j’ai vu des hommes armés. J’ai dit à Florent que la police était là. Ils m’ont forcé à descendre, ils ont laissé Florent quand ils ont vu qu’il était handicapé et ils m’ont plaqué à l’arrière de leur pick-up. »
Après deux heures de route, les ravisseurs l’abandonnent au milieu du désert avec trois des leurs et repartent. L’eau est stockée dans des bidons d’essence souillés. Les pieds entravés et les mains attachées dans le dos, il est installé à même le sable, sur une petite dune à peine protégée par deux arbres, non loin de ses geôliers, qui lui ont fourni des chaussures trop petites. Interdit de cigarettes, ce grand fumeur rumine son amertume devant ces hommes qui l’humilient et multiplient les simulacres d’exécution.
Le 29 mai, profitant d’un moment d’absence de ses ravisseurs, et alors qu’il a les pieds détachés, il s’évade. « J’ai fait 200 m dans les dunes mais, quand je les ai vus à ma recherche, j’ai préféré revenir vers eux. Je l’ai payé cher. » Ils lui prennent ses chaussures et le forcent à marcher dans le sable brûlant, puis le traînent par les pieds, la peau à même le sol. « Ils m’ont tabassé et cassé des côtes, j’ai pleuré tous les jours, je ne savais rien sur ce qui allait se passer. » Pour éviter qu’il s’enfuie, ses ravisseurs lui retirent à nouveau ses chaussures.
Au bout de trois semaines, le survol de la zone par des avions de chasse convainc ses gardes qu’il faut quitter ce lieu de détention. Il y a perdu le sommeil. « Les serpents sont mortels là-bas, je les voyais foncer sur moi, cela faisait rire mes gardiens, jusqu’au jour où l’un d’eux en a trouvé un sous sa couverture ; c’était ma revanche. »
Devenus craintifs, les ravisseurs marchent près de dix heures par jour et transforment leur otage en mulet. « Je portais la farine et l’eau, j’avais les pieds en sang et mes jambes étaient esquintées. » Un jour de juin, il croit son calvaire fini quand, au loin, il aperçoit les lumières d’un hélicoptère. Un échange était prévu, mais les ravisseurs prennent peur et rebroussent chemin. « J’étais désespéré, cela faisait un mois que je n’avais pas vu de lumière, la liberté était toute proche, et voilà qu’on repart dans l’autre sens, je me suis laissé tomber par terre, épuisé, ils m’ont frappé pour que je me relève. »
Encore plus méfiants, ils enchaînent les marches de nuit dans un paysage de désert et de montagne. Ils ne veulent pas non plus croiser la route des talibans. « S’ils nous voient, on est tous morts, disaient-ils, et ils ne pouvaient pas me revendre car je n’avais pas mon passeport, qui aurait prouvé mon identité. » Sa santé se détériore, son moral est au plus bas. « Je voulais en finir, j’ai tenté au moins quatre fois de me jeter des falaises mais ils me surveillaient et me rattrapaient à chaque fois. » Ses ravisseurs sont ses seuls compagnons. Ils ne veulent pas que la population locale s’aperçoive de sa présence.
En France, le Quai d’Orsay a interdit à sa famille d’alerter les médias. « Il ne faut pas faire monter les enchères », disent les diplomates. « Ma soeur appelait tous les jours le ministère des affaires étrangères, c’était pas facile pour elle, ils la laissaient souvent dans le noir total. » Dès le premier jour de sa captivité, le montant de la rançon est descendu de 10 à 5 millions de dollars (7,2 à 3,6 millions d’euros), puis il ne saura rien des tractations. « Au tout début, j’ai eu ma soeur une fois au téléphone, heureusement qu’elle ne m’a pas dit que la France ne voulait pas payer, car je me serais écroulé. »
Le quartier général des proches d’Antoine Falsaperla s’est établi chez sa soeur Sylviane. C’est elle qui coordonne les informations pour la famille et tente de soutenir son frère. « Elle m’a dit qu’il ne fallait pas que je m’inquiète, que des organismes existaient pour réunir les fonds pour les otages, même si c’était pas vrai. »
Fin juillet, Antoine Falsaperla, les yeux bandés, est remis à un autre groupe moins violent que le précédent qui le gardera plus de deux semaines. Il est maintenu à l’écart d’un village d’où part chaque jour la moto qui les approvisionne. « Ceux-là, j’avais l’impression de les déranger, ils m’ont emmené chasser et ne me frappaient pas. » Ayant perdu la notion du temps, portant les mêmes vêtements que le jour de son enlèvement, sans avoir jamais pu se laver, il se concentre sur les détails de sa vie et tente de contrôler sa colère. « Dès le début de ma détention, le bouddhisme m’a aidé, je savais qu’au monastère ils priaient pour moi. » Finalement, le chef du premier groupe réapparaît et, après lui avoir annoncé que les Français ne veulent pas donner d’argent, il le met une seconde fois en contact téléphonique avec l’extérieur. « Il voulait que je montre que j’étais vivant, et que je prouve mon identité par des éléments personnels à des policiers pakistanais avec qui ils rigolaient au téléphone, puis j’ai tenté d’avoir ma soeur en France, mais la communication a été coupée. » Le dénouement est proche, mais il ne le sait pas.
« Je me suis retrouvé avec un troisième groupe armé jusqu’aux dents. Ils m’ont donné des habits, des chaussures, un duvet, et j’ai soufflé un peu quand ils m’ont dit qu’ils allaient me remettre aux policiers pakistanais. » Une marche de trois jours vers le Pakistan le sépare de la liberté.
De retour en France, il réalise que beaucoup de ses amis n’ont jamais eu connaissance de son enlèvement. Pas plus que le maire de son village. « J’ai ressenti un tel décalage entre ce que je venais de vivre et les gens ici que je me suis renfermé, j’ai vu un psychologue pendant un an, puis j’ai arrêté car il me trouvait plutôt solide, mais les cauchemars sont encore là. » Son caractère « a changé », assure-t-il. Et il est « devenu irritable ». Il vit toujours dans l’Ain, à Saint-Rambert-en-Bugey. Rue des Otages.
Jacques Follorou
SUR LE SITE DE RTL :
Exclu : ex-otage au Pakistan, Antoine Falsaperla parle pour la première fois
Créé le 13/10/2009
C’est une histoire qui est passée un peu inaperçue cet été. Le 23 août dernier, Antoine Falsaperla était libéré après avoir été kidnappé pendant trois mois au Pakistan. Ce touriste français, originaire de l’Ain, a vécu quatre-vingt onze jours enchaîné aux mains d’un groupe de ravisseurs - un gang de "criminels locaux". Myriam Alma l’a rencontré pour RTL.
Ecouter Myriam Alma | 13/10/2009 - 09h00 écouter "Le choix de RTL" 91 jours enchaîné aux mains de ses ravisseurs Le jour de l’enlèvement, le 23 mai, Antoine Falsaperla, 41 ans, circulait en camping-car avec cinq autres touristes français, dont deux enfants en bas âge, dans une zone connue pour être un repaire de combattants islamistes et de talibans, de rebelles séparatistes baloutches et de nombreux gangs criminels. Ses ravisseurs demandaient 500 millions de roupies (5 millions d’euros) de rançon. Mais comprenant que l’otage n’est qu’un touriste sans argent, ils revoient à la baisse leurs revendications. Finalement, le Français a été remis aux autorités pakistanaises vendredi 21 août.
LA VOIX DE L’AIN - GROS Ghislain Samedi 29 août 2009
Un Rambertois kidnappé pendant trois mois au Pakistan
Antoine Falsaperla est libre. Le Rambertois a retrouvé sa famille à Paris dimanche 23 août après avoir passé trois mois emprisonné dans le sud du Pakistan. Lundi, il était de retour à Saint-Rambert. Un soulagement énorme pour sa famille qui réside dans la rue des Otages à Saint-Rambert-en-Bugey. « Nous avons eu très peur, témoigne sa sur Silvana Falsaperla. Cela nous a fait chaud au cur de le retrouver et de le serrer dans nos bras ».
Antoine Falsaperla, 41 ans, carreleur, est tombé depuis plusieurs années sous le charme de l’Asie et plus particulièrement de l’Inde. Bouddhiste pratiquant, il avait l’habitude d’y séjourner. Fin mai, sur le chemin du retour en France, il rencontre un ami handicapé qui voyage avec sa famille (sa femme et leurs deux enfants) au volant d’un camping-car immatriculé en France. Il accepte de lui donner un coup de main en faisant route commune au lieu de rentrer en avion.
Enlevé le 23 mai 2009
C’est le 23 mai que le groupe de touristes français est victime d’une embuscade dans la province du Baloutchistan, à 80 km au sud de la frontière afghane, une zone où les ambassades occidentales et les autorités pakistanaises déconseillent très fortement aux étrangers de s’aventurer. Une zone infestée de combattants islamistes et de talibans proches d’Al-Qaïda, de rebelles séparatistes baloutches et de nombreux gangs criminels. Les malfaiteurs décident d’enlever Antoine et de laisser la famille continuer sa route. C’est elle qui préviendra la famille d’Antoine. « Aussitôt nous nous sommes mis en contact avec les autorités, révèle Silvana Falsaperla. Le quai d’Orsay nous a demandé de garder le silence et de ne pas chercher à médiatiser cette disparition. Au final je ne peux pas vous dire si sa libération a été plus rapide ou non. Mais les trois mois ont été durs, très durs. Un vrai enfer. On ne savait pas du tout par qui et où Antoine était détenu. Est-ce que c’était un enlèvement politique ou crapuleux ? Après, le quai d’Orsay nous a dit que c’était un enlèvement crapuleux ».
Une rançon de 5 millions demandée
Au Pakistan, les autorités confient les pourparlers aux tribus locales. Les discussions traînent car le groupe demande 500 millions de roupies (5 millions d’euros) de rançon. Mais comprenant qu’Antoine Falsaperla n’est qu’un touriste sans argent, ils revoient à la baisse leurs revendications. Finalement, le Français a été remis aux autorités pakistanaises vendredi 21 août. Ces dernières assurent qu’aucune rançon n’a été versée. Puis Antoine a regagné Paris ce dimanche 23 août. « Antoine a ouvert grand les yeux. Il était content d’être revenu. Il a parlé un peu de ce qu’il a vécu là-bas. C’était affreux... Je pense que cela lui ferait du bien d’en parler mais pour l’instant il n’arrive pas encore à le faire. Ca le soulagerait et cela permettrait aussi de faire passer le message à ceux qui auraient envie de voyager dans ces pays-là », explique Silvana.
Ensuite, Antoine a été emmené par les autorités pour un bilan médical et un débriefing. À Saint-Rambert-en-Bugey, sa famille (six frères et surs) espère qu’il pourra rapidement tourner la page et promet déjà de l’entourer de toute son affection. Et Silvana de conclure : « L’important est que cela se soit bien terminé ». De retour lundi à Saint-Rambert-en-Bugey, Antoine Falsaperla n’a pas souhaité s’exprimer pour l’instant sur sa captivité.
Ghislain Gros avec AFP