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18 juillet 08 - Ingrid Betancourt et les ex-otages : comment revivre ? Une interview de jean-Jacques LE GARREC, ex-otage à Jolo et membre d’Otages du Monde

Exclusif

Frédéric Niel, Marie-Christine Vidal et Anne-Claire Ordas pour Pelerin.info

Ingrid Betancourt et les ex-otages : comment revivre ? Une interview de jean-Jacques LE GARREC, ex-otage à Jolo et membre d’Otages du Monde

Retrouver une vie normale ne va pas de soi pour les anciens otages comme Ingrid Betancourt. Beaucoup restent « captifs » de ce qu’ils ont vécu. Analyse de spécialistes.

Libérée le 2 juillet après six ans et quatre mois de captitivé dans la jungle aux mains de rebelles colombiens, Ingrid Betancourt n’en a pas pour autant fini avec ce cauchemar, si l’on en croit l’expérience d’autres personnes retenues pendant des mois ou des années dans des caves du Proche-Orient ou des jungles tropicales.

Chacun à sa manière en revient transformé. « Pendant six ans, Ingrid Betancourt a subi des humiliations extraordinaires, souligne le dr Gérard Lopez, directeur du Centre de psychothérapie des victimes, à Paris. On a essayé de casser son identité, elle a dû vivre des moments atroces, se voir mourir. Tout cela est destructurant, même si les dégâts peuvent être limités dans le cas d’une personnalité particulièrement forte et équilibrée comme elle semble l’être ».

Pris en otage à Jolo, une île des Philippines, pendant 78 jours en 2000, Jean-Jacques Le Garrec, grand reporter à France 2, raconte : « En détention, on développe des réflexes pour garder sa dignité, en établissant un rapport de force avec les ravisseurs. Surtout, on découvre des forces qu’on ne soupçonnait pas en soi. On va au plus profond de son animalité, on vit comme dans la préhistoire, on se rapproche de notre être profond, d’une certaine vérité. »

Une peur permanente

Lors de réunions organisées par l’association Otages du monde, dont il est adhérent, il avait averti les enfants d’Ingrid Betancourt qu’ils la retrouveraient sans doute changée, et qu’ils ne devaient pas s’étonner si elle ne réagissait pas comme autrefois. « Certaines choses vécues ne sont pas communicables, pas explicables. Quand on est condamné à une peine de prison, on sait combien de temps on y restera. Mais quand on est otage, la mort est possible chaque jour. Dans la jungle, mes ravisseurs passaient leur doigt sous la gorge pour me faire comprendre qu’ils allaient bientôt m’égorger », dit-il.

Cette épée de Damoclès change la perception des choses. « Dans ces conditions, l’idée de s’ennuyer, de ne pas aimer la vie intensément n’est pas concevable. Or, ce sentiment n’est pas transmissible à autrui une fois libéré. C’est pour cela que, dans ce genre d’expérience, en dehors de la mort, le pire c’est le retour. Nul n’y est préparé », ajoute Jean-Jacques Le Garrec.

Il va même plus loin : « J’ai rencontré quelqu’un là-bas : moi-même. Parfois je me dis que j’aimerais bien retrouver le bonhomme qui était là-bas. » Pour tenter d’expliquer ce sentiment, il évoque ce qui se passe dans l’esprit et le corps lors d’une longue marche de randonnée : cette même manière de « décanter », de séparer l’essentiel du futile, quand « les idées se mettent en place malgré la douleur physique ».

Une vraie prise de conscience sur la valeur de la vie

On ne saurait trop insister sur l’impact psychologique de cette proximité avec la mort. Si chacun d’entre nous sait qu’il va mourir, qui y pense vraiment ? « Otage, on sait qu’on peut mourir d’un instant à l’autre, il y a une vraie prise de conscience. Cela modifie le regard sur la vie quand on revient, les choses n’ont plus la même saveur. On vit désormais la vie de tous les jours en spectateur. Les petits tracas paraissent dérisoires et les petits plaisirs insipides », explique le médecin en chef Humbert Boisseaux, professeur agrégé de psychiatrie au Val-de-Grâce.

Jean-Jacques Le Garrec l’exprime d’une formule : « le retour à la morne brousse de la banalité quotidienne ». « Revenu en France, j’avais du mal à trouver du plaisir dans les activités ‘normales’ d’avant. J’avais l’impression de recommencer à vivre à 20 %. Certaines choses deviennent dérisoires, ou même insupportables. Quand j’accompagne un journaliste de télé qui interroge une victime après un drame, et qu’il pose des questions que je trouve obscènes, il m’est arrivé de poser la caméra, de dire au journaliste de dégager, et de prendre la personne dans mes bras. C’est tout ce dont elle a besoin », dit-il.

Aux enfants d’Ingrid Betancourt, il avait confié : « Quand elle reviendra, acceptez de ne plus avoir la même maman qu’avant. Elle n’aura pas toujours besoin de parler. Rester près d’elle en silence suffit. Au retour, même si la famille reste soudée, on est quand même seul. En attendant, soyez forts, et soyez heureux car c’est ce qu’elle souhaiterait. »

"Le syndrome du survivant"

Selon Laurent Combalbert, ancien policier du RAID devenu négociateur de crise à la société Géos, « il y a une courte phase d’euphorie quand l’otage prend conscience qu’il a retrouvé la liberté. Puis arrive souvent une période de dépression, parfois des mois ou même des années plus tard. » L’ex-otage peut ainsi souffrir du « syndrome du survivant », une forme de culpabilité vis-à-vis des personnes qui sont restées derrière. Ce syndrome est aussi connu des personnes qui ont échappé à la mort dans les camps nazis par exemple. « Beaucoup souffrent d’un syndrome de stress post-traumatique : on sursaute au moindre claquement de porte, on a du mal à se projeter dans l’avenir, on revit sans cesse les événements passés sans parvenir à s’en libérer, etc. Il faut surveiller les ex-otages sur la durée car la dépression peut survenir 15 ans plus tard », ajoute l’ancien policier, qui a contribué à la libération de plusieurs otages.

Selon le Journal international de victimologie, entre un quart et la moitié des ex-otages connaîtraient à leur libération des troubles psychologiques plus ou moins importants. Heureusement, rares sont ceux qui plongent dans une déprime telle qu’ils finissent par se suicider comme Brice Fleutiaux, otage en Tchétchénie d’octobre 1999 à juin 2000.

Des retrouvailles avec les proches délicates

Pour toutes ces raisons, « avant de rendre les ex-otages à leurs proches, il serait utile de ménager un sas d’au moins quelques heures pour un état des lieux physique et psychologique », recommande le professeur Boisseaux. Les retrouvailles ne sont pas toujours simples, insiste-t-il. La famille a souffert de l’absence et demande des comptes, même inconsciemment. On n’en sort jamais plus fort, il y a toujours des blessures intérieures quand on est confronté à sa propre mort imminente, que l’on est à la merci d’autres personnes. Pour les ravisseurs, vous n’avez qu’une valeur marchande, vous êtes une chose, déshumanisée. Cette blessure psychique est indélébile - elle laisse une cicatrice - mais pas inguérissable, si on la soigne bien grâce à une aide psychologique, et grâce à l’entourage ». Finalement, observe-t-il, « même après sa libération, l’otage reste captif de ce qu’il a vécu, ainsi que des images qu’on a dit de lui. Il ne s’appartient plus tout à fait ».

Foi et soutien du public, deux facteurs pour aider à refaire surface

Si Ingrid Betancourt a étonné le public en insistant, dès son arrivée à Bogota, sur sa foi et sa gratitude envers Dieu, les connaisseurs, eux, n’étaient pas surpris. « C’est dans la douleur et la solitude extrême que Dieu se rapproche de nous, au moment où on est le plus bas », note Serge Tribolet, psychiatre à l’hôpital Maison Blanche, à Paris. L’importance de la foi dans de telles circonstances est une vérité première, que l’on a trop tendance à considérer comme anecdotique ». Laurent Combalbert, l’ancien policier, le confirme : « Beaucoup d’otages m’ont dit : ‘Heureusement que j’étais croyant, la foi m’a aidé, j’y ai puisé des forces’. » La foi a aussi aidé Roger Auque, enlevé au Liban en 1987. Agnostique, il a été détenu seul, dans l’obscurité. « Mes geoliers m’avaient donné une Bible en anglais, raconte-t-il. J’ai d’abord lu l’Ancien Testament, puis le Nouveau. Très vite, j’ai eu une sorte de révélation, comme une visite spirituelle. Je sentais une présence invisible ».

« En détention, on comprend vite que, pour survivre, il faut se donner un rythme régulier : se laver, faire des mouvements de gymnatique, se forcer à mémoriser des textes. J’ai mémorisé les psaumes dans lesquels on se met sous la protection du Seigneur. Je n’avais jamais appris à prier. Je récite maintenant le Pater Noster en vieil anglais ! »

De manière plus surprenante, la célébrité et la surexposition médiatique d’Ingrid Betancourt peuvent aussi aider à surmonter cette épreuve. « Les anonymes peuvent perdre leur travail, cela peut casser des familles. Là, il n’y pas de risque d’exclusion sociale. Elle est portée à la fois par son idéologie politique, par sa foi », analyse Serge Tribolet. Laurent Combalbert est lui aussi optimiste : « C’est une ancienne candidate à l’élection présidentielle en Colombie. Avec son caractère trempé, elle a survécu six ans dans la jungle - alors que la captivité est plus rude pour les femmes -, elle a tenté plusieurs fois de s’évader : elle devrait rebondir, reprendre sa vie en main. »

 
^ Remonter ^
  1. https://thesanctuarycollective.org/
  2. https://www.otages-du-monde.com/
  3. https://www.endangeredrangers.com/
  4. https://www.hottestmominamerica.com/
  5. https://www.globalinstitutefortomorrow.com/
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