OTAGE TCHAD - Décès de Pascal MALINGE, otage humanitaire français assassiné au Tchad
ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES, M. BERNARD KOUCHNER, AVEC "RTL"
(Paris, 2 mai 2008)
Q - Avez-vous de nouvelles précisions, ce matin, sur les circonstances de la mort de cet humanitaire français au Tchad ?
R - Hélas oui ! C’est un crime abominable qui a été commis, hier matin, dans l’Est du Tchad, à proximité d’un camp qui s’appelle "Farchana". Il y avait trois véhicules, un véhicule de l’UNICEF, l’agence des Nations unies, et puis deux véhicules de "Save The Children" qui est une organisation anglaise. Ces véhicules ont été attaqués par ce que l’on appelle là-bas - ce que l’on appelle dans le monde entier une bande d’assassins, en réalité - "les coupeurs de route". Ces "coupeurs de route" voulaient probablement voler les véhicules et s’emparer de l’argent. Il y a eu malheureusement un tir et notre compatriote, Pascal Marlinge, a été touché à la tête et il est mort sur le coup. Les assaillants se sont enfuis avec un des véhicules qui, depuis, a été retrouvé en direction de la frontière soudanaise.
Q - Son épouse estime qu’il s’agit d’un accident, qu’il a été au mauvais endroit au mauvais moment. Selon vous, s’agit-il d’un accident ou d’un assassinat ?
R - C’est un assassinat, bien entendu, et c’est malheureusement assez fréquent. Je crois que Mme Marlinge, Isabelle Marlinge, et sa fille, Marie , avec lesquelles je me suis entretenues au téléphone, ont réagi de façon extrêmement digne. Malgré leurs souffrances, elles analysent bien la situation : c’est devenu très, très risqué. Cela a toujours été très risqué de se dévouer pour les autres mais là cela l’est encore plus.
Ce camp regorge de personnes déplacées, de Tchadiens et puis, aussi, de gens qui viennent du Darfour, du Soudan à proximité. Pascal Marlinge était un humanitaire très expérimenté. Il avait travaillé dans tous les coins du monde avant d’intervenir au Tchad : au Soudan, en Afghanistan, en Irak... Avec sa femme, ils avaient vécu dix ans au Népal pour s’occuper des enfants. C’était un homme admirable, un modèle pour la jeunesse. Pascal Marlinge a disparu et c’est vraiment très triste. Il faut manifester notre soutien à sa famille, bien sûr, mais aussi à l’organisation à laquelle il appartenait ainsi qu’à ceux qui se dévouent, tous les jours, courageusement. Il faut aussi trouver ses assassins. La gendarmerie tchadienne est à leur recherche. Depuis hier déjà, les forces Eufor des 17 pays de l’Union européenne, qui sont en train d’achever leur déploiement, sont également mobilisées pour trouver ces assassins.
Q - Bernard Kouchner, vous le disiez, ces attaques sont fréquentes. Des dizaines de véhicules d’ONG ont été volés ces dernières années au Tchad mais on se demande pourquoi, cette fois-ci, les brigands ont tiré. Ce matin sur RTL, le ministre de l’Intérieur tchadien assure que Pascal Marlinge n’a pas été tué à cause de sa nationalité. Est-ce que, vous, Bernard Kouchner, vous êtes convaincu que cet humanitaire n’a pas été abattu parce qu’il était français ?
R - L’enquête le dira, mais je ne le crois pas du tout. Comme je vous l’ai dit, il conduisait le véhicule d’une association anglaise très connue dans le monde entier, "Save the children", une des plus grandes, des plus efficaces, des plus sérieuses associations humanitaires. Il n’a pas eu le temps de parler. Encore une fois l’enquête le dira, mais je crois qu’il a été tué parce qu’ils étaient pressés, agités, nerveux et qu’ils avaient peur. C’est tellement fréquent.
Heureusement, ce matin, nous avons eu l’annonce du retour d’un humanitaire, Jean-Michel Maurin, qui travaillait en Haïti. Il avait été enlevé dans les mêmes circonstances par des "coupeurs de route", vendredi dernier, et a été retrouvé, hier. C’est malheureusement monnaie courante.
Q - En avez-vous, vous-même, été victime lorsque vous étiez humanitaire ?
R - Bien sûr, très souvent. Il y a beaucoup de misère et de gens qui volent, qui rodent, qui tuent parfois. Lorsqu’il y a des travailleurs humanitaires, il y a un déploiement de matériel et de bonnes volontés qui suscitent des convoitises. Il s’agit là d’un cercle vicieux que nous connaissons bien.
Q - Bernard Kouchner, est-ce que la France, aujourd’hui, est une cible au Tchad avec le déploiement de militaires dans le cadre de l’EUFOR, vous en parliez, et après l’affaire "Arche de Zoé" ?
R - Ne mélangeons pas ces affaires-là, s’il vous plaît ! Là, il s’agit d’un homme qui se dévouait depuis des années, qui savait ce que c’était que l’humanitaire et qui est mort dans des circonstances troubles. Alors, peut-on penser qu’il était visé parce qu’il était français ? L’enquête le dira mais je ne le crois pas. Je ne le crois pas du tout. Concernant le déploiement de l’EUFOR, il est nécessaire. L’EUFOR va sécuriser la région le mieux possible. C’est une région gigantesque avec plusieurs centaines de kilomètres de frontière.
Faudra-t-il que les déplacements des véhicules du personnel humanitaire soient signalés et qu’ils soient accompagnés par des patrouilles militaires ? C’est possible. Je crois que nous le saurons très vite, dans les jours qui viennent. Pour ma part, je pense surtout à la famille de Pascal Marlinge et à tous les humanitaires qui trouvent très injuste, scandaleux et inacceptable cet assassinat, et je suis de ceux-là.
Q - Vous demandez donc des précautions supplémentaires aux humanitaires, mais pas à un retrait du Tchad ?
R - Sûrement pas ! Il y a un besoin extraordinaire. Demandez aux amis de Pascal Marlinge s’ils veulent se retirer ; ils ne veulent pas. Ils connaissent les risques, hélas de plus en plus importants, pour des raisons qui tiennent à une misère de plus en plus importante, mais il y a une nécessité d’aider, d’être au côté des populations de plus en plus criante.
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