Otage en Afghanistan : les médias ont gardé le silence
par Thierry Portes
Pour la première fois, la presse a respecté les consignes de discrétion du gouvernement français.
En parler ou pas ? À chaque prise d’otage, la question revient. Pour un journaliste, il est difficile de rester muet. Pour un diplomate, surtout s’il est en charge d’un dossier aussi sensible, la discrétion est une règle de conduite. Entre les médias, les autorités et les familles d’otages, la compréhension n’est pas toujours évidente. Les choses changent. Pour la première fois, la presse française dans son ensemble n’a que très brièvement évoqué le sort de Johan Freckhaus durant sa détention.
Le porte-parole du Quai d’Orsay a vendredi publiquement remercié la presse pour sa discrétion. L’information, selon laquelle M. Freckhaus venait d’être enlevé, a initialement été publiée, dans une édition du Figaro et sur le site Web du journal, le 30 mai. Le Quai d’Orsay demandant la discrétion, elle a été retirée, pour ne plus jamais revenir, jusqu’au dénouement de l’affaire vendredi.
Mais sur le Net, la nouvelle a voyagé, reprise par plusieurs sites d’information, qui l’ont également retirée, tandis que des organes moins sérieux, comme c’est souvent le cas, s’acharnaient à combler le vide, en multipliant les informations les plus fantaisistes. La vraie surprise, en revanche, fut que les ravisseurs n’ont pas communiqué sur la Toile.
« Au cas par cas »
« Plus on garde le silence, moins cela fait monter les enchères » , dit un proche de Bernard Kouchner. En règle générale, explique-t-il, « on préfère la discrétion », surtout les premiers jours, afin que l’otage ne « passe pas de main en main à mesure que son prix augmente ». Après, si la détention dure, la stratégie évolue. Ex-otages, diplomates, journalistes, tous le répètent : « Chaque prise d’otage est un cas particulier. » C’est pourquoi les médias entendent définir leur ligne de conduite « au cas par cas ».
Dans les cas les plus récents, la famille de Florence Aubenas et Libération, son journal, avaient choisi d’en parler, comme Le Figaro et RFI le firent pour Georges Malbrunot et Christian Chesnot en 2004. « Mais on n’a pas parlé de Jill Carroll » (une autre journaliste enlevée ensuite en Irak), dit Jean-François Julliard, de Reporters sans frontières. Le porte-parole de RSF, Robert Ménard, note que, « malheureusement, au fil des ans, tous les médias ont été confrontés à des enlèvements, ce qui les a conduits à devenir plus responsables. Le Quai d’Orsay a de son côté acquis un vrai savoir-faire ».
Expliquant lui aussi qu’il faut apprécier « au cas par cas », le porte-parole du comité de soutien à Ingrid Betancourt, Hervé Marro, rappelle qu’il y eut « une sorte de gel du dossier » de l’otage franco-colombienne enlevée en 2002 par les Farc. « Il a bien fallu, à un moment, mobiliser l’opinion et la détermination politique. » Si le silence s’était imposé, « qui peut dire qu’Ingrid ne serait plus otage ? » interroge M. Marro. Il préfère penser que la médiatisation a concouru à la libération de plusieurs otages colombiens que leur pays et le monde avaient oubliés.