A mots découverts : Otage (par le Matin ch)
Dans le flot de paroles qui accompagne le clash politico-juridico-diplomatique Genève-Libye-Suisse, le mot otage tourbillonne
(Marinette Matthey - le 29 août 2009, 22h49 Le Matin Dimanche)
Si on y mettait encore des guillemets au début de l’affaire, toute précaution énonciative a disparu au fur et à mesure qu’elle s’est envenimée. Ça ne se voit pas du premier coup d’oeil, surtout parce qu’il a perdu son h et qu’il n’a même pas de circonflexe pour rappeler le s, mais otage est de la même famille qu’hôte, hôtellerie, etc.
En traversant l’histoire, otage se charge de sens différents. Vers l’an mil, « prendre quelqu’un en ostage » signifie qu’on le loge. Voilà pour l’étymologie. Comme les conflits sont très présents dans les affaires humaines, ostage désigne au Moyen Age l’hôte forcé d’un souverain, hébergé contre son gré pour garantir que la partie adverse tiendra sa promesse ou exécutera le traité. Par extension, et dès la période de la Révolution française, toute personne privée de liberté et utilisée comme moyen de pression est appelée otage.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, en France, l’otage se conçoit en groupe. Ce sont des civils innocents (si possible juifs et/ou communistes) que les autorités allemandes d’occupation fusillent en guise de représailles des attentats « terroristes » (ceux de la Résistance, donc).
Dans les années septante, une nouvelle constellation discursive apparaît. Le conflit israélo-palestinien donne lieu à différentes prises d’otages, toujours en groupes, tentatives désespérées d’exercer une pression sur les gouvernements. Le lien otage et terrorisme est consolidé par de nombreux bains de sang.
Aujourd’hui, cette association sémantique est toujours bien vivante, mais, à travers la surmédiatisation, les otages redeviennent des personnes individuelles (Florence Aubenas, Ingrid Betancourt...).
La prise d’otage, c’est toujours du chantage, et, à sa manière, le gouvernement libyen revitalise le sens du Moyen Age. __________ Image © Sabine Papilloud
Marinette Matthey, sociolinguiste