OTAGES LIBAN : Otage, ô désespoir
portrait Christian Joubert. En 1984, cet Orléanais parti au Liban pour uvrer dans le BTP était enlevé puis libéré. Il réclame le statut d’otage.
Par MOURAD GUICHARD Orléans, correspondant de Libération à Orléans
Aux otages français du Liban, d’Irak et d’Afghanistan, une nation admirative et attentionnée. Pour Christian Joubert, historiquement le premier d’entre eux, l’oubli. Depuis son retour sur le sol français, le 15 avril 1984 après soixante et un jours de captivité au Liban, il rumine, infuse et tente de digérer cette absence de reconnaissance. L’entreprise orléanaise de bâtiment et travaux publics qui l’employait ? En faillite. Son couple ? Enterré. Ses amis politiques ? Eloignés. Ne lui restent aujourd’hui qu’une santé précaire et une pension d’invalidité qu’il partage avec Martine, son amie de trente ans avec laquelle il vit aujourd’hui. « Je ne veux pas de médaille. Je demande juste à être reconnu comme ancien otage », plaide-t-il, assis dans le fauteuil de son salon, face à un téléviseur qui diffuse, pour l’occasion, les images de son retour, en qualité VHS. Et celles des nouveaux otages accueillis à bras ouverts par des officiels dressés sous l’il de caméras.
Autour de lui, rien n’indique le changement d’époque. Les photos du général de Gaulle - son modèle - partagent le peu d’espace avec des trophées sportifs, catégorie twirling bâton, dont il a longtemps présidé le club local de Saint-Ay. Le mobilier de cette petite maison de Huisseau-sur-Mauves (Loiret) est tout aussi horodaté. Du Formica, des couleurs boisées, d’innombrables bibelots et collections d’ouvrages thématiques, des cassettes vidéo... Discret et imposant, trônant au milieu de cet intérieur suranné, Christian Joubert affiche un regard méfiant. Il scrute, interroge les intentions du rare visiteur avant de se livrer. Un peu. Le sexagénaire atteint par le diabète, mais d’apparence robuste, sort alors ses précieux classeurs qui regroupent coupures de presse, correspondances et certificats. Tout ce qui rappelle qu’il a été otage, un jour, ailleurs. On y croise un courrier signé de François Mitterrand et adressé au frère de Christian Joubert. « Les autorités françaises me considèrent toujours comme un civil victime d’un enlèvement, pas comme un otage. Malheureusement pour moi, il n’y a jamais eu de demande de rançon », continue-t-il de regretter.
Ce naufrage trouve son origine au début des années 80, lorsque l’employeur de Christian Joubert lui propose de partir pour le Liban. Il n’hésite pas. « J’étais marié et père de deux enfants, mais mon épouse ne s’inquiétait pas. Il faut dire que je gagnais bien ma vie et que nos liens s’étaient distendus. » Sa mission : encadrer l’installation d’écoles préfabriquées pour les populations palestiniennes de Tyr, Saïda et Beyrouth. « J’étais bien là-bas, se souvient Joubert. Je connaissais tout le monde dans les milieux militaires et diplomatiques. Il n’y avait aucun sentiment d’insécurité. » Jusqu’à ce 15 février 1984. Après une soirée passée chez l’ambassadeur de France à Beyrouth, Christian Joubert rejoint son véhicule. Là, « un homme aux yeux clairs » lui demande l’heure. « Il m’a immédiatement collé un pistolet sur la tempe. Un comparse l’a rejoint et ils m’ont jeté dans une voiture. » S’en suivent les jours et les nuits d’un otage ordinaire. « Je pense qu’ils m’ont emmené dans un garage. J’étais bâillonné et ils m’avaient collé un masque de plongée avec du gros scotch. J’avais du mal à avaler ma salive. » Après plusieurs transferts, les ravisseurs envoient une photo à l’ambassade, mais sans demande de rançon. Et ils l’obligent à signer des chèques, sur le compte de son entreprise. Qui a coulé entretemps. « J’ai vraiment cru qu’ils s’étaient trompés de personne. »
Libéré le 15 avril 1984, Joubert est conduit à l’ambassade de France. Deux jours plus tard, hélicoptère, bateau, puis vol sanitaire. Il se retrouve sur le tarmac de Roissy. « Là, personne pour m’accueillir, pas le moindre cérémonial... Une ambulance m’a emmené direction la sortie des artistes. » La presse, elle, se manifeste. De nombreux articles et reportages fleurissent sur le printemps du premier otage français. Dans la foulée, plusieurs écrits abordent sa mésaventure, au même titre que celles, de Marcel Carton, Jean-Paul Kauffmann et Marcel Fontaine. Le journaliste Gilles Delafon lui consacre un long chapitre dans son ouvrage de référence Beyrouth,les soldats de l’islam.
Dans son Loiret natal, Christian Joubert a toujours été proche des barons locaux du RPR. De retour de captivité, rongé par la dépression, incapable d’envisager une reprise d’activité, il tente de renouer le contact. « Ils m’ont tourné le dos, rapporte-t-il, amer. Ce sont des politicards que j’ai pourtant vus, depuis, accueillir d’autres otages à Villacoublay. » S’il se félicite des libérations, comme récemment celles d’Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier, chaque retransmission télé le voit se rencogner dans le souvenir.« Pendant plusieurs années, je me suis occupé des autres au travers d’associations sportives, explique-t-il. Quand je suis revenu, je me pensais suffisamment fort pour n’avoir besoin d’aucune assistance médicale ou psychologique. C’était une erreur... »
Son divorce est un autre naufrage. Le tribunal s’appuie sur les derniers revenus de Christian Joubert pour attribuer une confortable pension compensatoire à son ex-épouse. « Ils n’ont pas pris en compte ma détention. Elle est partie avec la maison et les meubles. » Il doit un semblant d’éclaircie à Yves Bodard, un travailleur social du quartier populaire d’Orléans-la-Source qu’il classe « forcément à gauche », comme peuvent l’être « certains gaullistes ». Avec une patience militante, ce nouvel ami l’écoute et prend le temps de l’empathie. « Pour les faiseurs d’histoire, [au Liban] tout a commencé en 1985. Avant il ne s’est rien passé : fermez le ban ! » écrit Bodard dans Vies cabossées et miettes d’espoir.
Au printemps 2011, Bodard alerte les médias. Il contacte Florence Aubenas, Stéphane Hessel, insiste auprès des anciens « compagnons » RPR - UMP de Joubert afin qu’ils interviennent en haut lieu. Il obtient finalement de Serge Grouard, le député-maire UMP d’Orléans, qu’il rencontre l’ancien otage. Fin octobre, c’est le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur qui active la manette décisive en intervenant auprès de François Fillon qui demande au préfet du Loiret « de procéder à un examen très attentif de la situation de monsieur Joubert ».
En attendant un signe du préfet, Christian Joubert, vit toujours avec une pension mensuelle de 500 euros. Si un fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme existe bien, sa mise en place est postérieure à ses déboires. Et sans effet rétroactif. « Je veux juste qu’on me reconnaisse et qu’on me donne de quoi finir ma vie, tranquillement », plaide-t-il, agacé. Ses amis, eux, continuent de le questionner sottement : « Mais bon sang, qu’est-ce que tu es allé foutre là-bas ? »
En 6 dates
28 janvier 1948 Naissance à Orléans (Loiret). 21 juillet 1981 Entre chez BornHauser Molinari, entreprise de BTP du Loiret. 15 février 1984 Enlèvement au Liban où il encadre des chantiers. 15 avril 1984 Libération. Printemps 2011 Livre Vies cabossées et miettes d’espoir d’Yves Bodard. Novembre 2011 François Fillon est saisi de l’affaire Joubert par le sénateur Jean-Pierre Sueur.