DECRYPTAGE - Comment Ingrid Betancourt peut-elle se remettre de six ans de captivité ? Nous avons rencontré François Lebigot, psychiatre militaire...
On l’attendait usée, affaiblie. Elle est arrivée sereine et sûre d’elle. Comment Ingrid Betancourt peut-elle se remettre de six ans de captivité dans la jungle ? Pour tenter de comprendre, nous avons rencontré François Lebigot, professeur agrégé du Val de Grâce et psychiatre militaire. Membre de l’association Otages du monde, il a travaillé sur les traumatismes psychiques chez les soldats. Entretien.
Comment avez-vous trouvé Ingrid Betancourt lors de ses apparitions télévisées ?
Ce qui domine généralement chez les otages libérés, c’est plutôt l’euphorie. Chez Betancourt, on ne sent pas un excès d’excitation. Elle maîtrisait assez bien la situation. Face à sa famille, au personnel politique et tout un peuple, elle a montré une vraie force morale, une force d’âme. Elle sait que pour les autres, il faut qu’elle se montre comblée par ce qui arrive.
Pourtant, elle sait bien que tout n’est pas réglé. Il va falloir qu’elle fasse quelque chose de toute sa souffrance. On a aussi vu qu’elle faisait des projets d’avenir, pour venir en aide aux otages toujours aux mains des Farc. Il faudra que cela soit repris dans un moment de calme.
Qu’est-ce qui marque le plus quand on revient à la vie normale ?
Le retour des choses matérielles - l’eau chaude, l’électricité - c’est ce qui se surmonte le plus facilement. En revanche, c’est plus difficile de retrouver une relation normale avec les autres hommes. Elle est passée d’un extrême à l’autre. Pendant six ans, elle a vécu avec des gens brutaux et hostiles : ça imprime de l’horreur concernant l’autre. Il faut qu’elle se réinscrive dans le monde des hommes. C’est là que le rôle des proches est important.
Comment se reconstruire après six ans de détention ?
Cela me fait penser aux lettres des poilus, pendant la guerre 14-18. À en croire ces lettres, tout se passait bien sur le front. De la même façon, les anciens otages ne veulent pas transmettre leur souffrance aux autres. Ingrid Betancourt va peut-être vouloir garder pour elle une partie de ce qu’elle a vécu. C’est là qu’un psychiatre peut l’aider. L’objectif, c’est de l’aider à mettre des mots là où ils manquent, sur des souffrances muettes. Mais il faut que cette démarche vienne d’elle-même.
Peut-il y avoir un contrecoup dans quelques mois ?
Il est possible qu’il n’y ait pas de traumatisme. Mais chez certains ex-otages, ce traumatisme peut s’incruster dans le psychisme et revenir plus tard, dans les cauchemars. Par ailleurs, l’idéalisation actuelle ne va pas forcément l’aider. Quand l’actualité tourne, les otages qui ont été très médiatisés peuvent retomber brutalement.
Certains s’y attendent et gèrent bien la situation. D’autres non. Mais avec ses qualités personnelles, Ingrid Betancourt aura peut-être plus de capacité qu’un autre à retrouver sa sérénité.
Comment voyez-vous la position de pardon de Betancourt vis-à-vis des Farc ?
Le pardon vient à la place de la haine. La haine est très difficile à porter. Cette attitude de pardon, qui est aussi due à sa foi chrétienne, la soulage d’un poids. Mais il n’y a pas que la foi qui l’a aidée. Son engagement politique lui a permis de donner un sens à ce qui lui arrivait. Cela aide beaucoup. Propos recueillis par Sylvain Mouillard pour LE PARISIEN