COLOMBIE Analyse politique d’Avocats Sans Fronti�res - Canada : Lib�ration d’otages en Colombie - Motifs de r�jouissance et zones d’ombre
par
Pascal Paradis, Directeur g�n�ral d’Avocats sans fronti�res Canada
�dition du mardi 08 juillet 2008
Avocats sans fronti�res Canada (ASF) se r�jouit de la lib�ration, mercredi dernier, de quinze otages d�tenus par les Forces arm�es r�volutionnaires de la Colombie (FARC), dont l’ex-candidate � la pr�sidence Ingrid Betancourt.
Plusieurs des personnes lib�r�es �taient d�tenues depuis des ann�es dans des conditions inhumaines. C’est une grande joie et un soulagement pour tous de les voir de nouveau r�unies avec leurs proches.
C’est �galement un �v�nement positif pour la Colombie. Bien que certains �mettent des doutes sur le fait que le paiement d’une ran�on ait �t� n�goci� ou non, on sait pour l’instant officiellement que la lib�ration est le fruit d’une op�ration sans bavure de l’arm�e colombienne, apparemment r�alis�e sans recours � la force, et qui porte un dur coup aux FARC, le principal groupe arm� ill�gal de la gu�rilla colombienne qui se rend coupable d’atroces violations des droits humains depuis des ann�es.
Malgr� cet �v�nement heureux, la situation est encore grave en Colombie, o� non seulement la gu�rilla mais �galement les paramilitaires, des groupes arm�s ill�gaux dits de droite, continuent d’agir, parfois avec l’appui de l’�tat. Les d�fenseurs des droits humains sont �galement syst�matiquement victimes de menaces, d’intimidation et d’agressions. Ainsi, dans les derniers jours, au moins deux autres syndicalistes et trois d�fenseurs des droits humains ont �t� assassin�s, alors que des menaces ont �t� lanc�es contre divers individus et organisations. Cons�quences d�sastreuses
S’appuyant sur son exp�rience issue d’une douzaine de missions en Colombie depuis 2003, ASF a publi� en d�cembre 2007 un rapport d’observation sur la situation de la justice et des avocats d�fenseurs des droits humains en Colombie. Ce rapport contient les t�moignages sur des cas r�cents qui d�montrent que les agressions et les actes de violence contre les d�fenseurs des droits humains continuent, notamment les assassinats et les tactiques de menace ou d’intimidation qui ont pour cons�quence le d�placement forc� ou l’exil. Malheureusement, le domaine de la justice est loin d’�tre le seul � faire l’objet de constatations aussi dramatiques. La Colombie est un pays o� fait rage depuis plus de 40 ans un conflit civil arm� aux proportions effarantes. L’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Organisation des �tats am�ricains (OEA) estiment que la situation des droits humains en Colombie est l’une des plus graves dans l’h�misph�re.
Les statistiques de l’ONU, de l’OEA et de plusieurs grandes organisations internationales convergent toutes vers les m�mes conclusions : le conflit colombien cause la mort violente de plusieurs personnes par jour, encore plus du c�t� des civils non arm�s que des combattants des forces de l’ordre, de la gu�rilla ou des paramilitaires. Le nombre de personnes d�plac�es de force � l’int�rieur du pays s’�l�ve aujourd’hui � pr�s de 3,7 millions, soit environ 9 % de la population du pays. Une partie d’un grand probl�me
La gu�rilla, notamment les FARC, est responsable d’une partie de ces crimes, dont les enl�vements et les d�placements forc�s, et ASF les d�nonce avec force. Tant mieux si leur capacit� de nuisance et leur influence vont en diminuant. Leur �radication ou leur reddition contribuera grandement � l’atteinte de la paix. Cependant, les FARC ne constituent qu’une partie du probl�me colombien.
En r�alit�, les paramilitaires constituent une menace terroriste aujourd’hui encore plus grande dans ce pays. Ils sont d�sormais responsables d’un nombre effarant de violations des droits humains. On parle de massacres de populations civiles, d’assassinats (notamment de membres et de leaders de groupes cibl�s tels que syndicalistes, paysans, autochtones, journalistes, partis d’opposition, �lus municipaux, juges, avocats, d�fenseurs des droits humains, etc.), d’ex�cutions extrajudiciaires, de disparitions forc�es, de menaces et d’intimidation, etc. Malheureusement, l’�tat colombien n’est pas lui non plus exempt de reproches.
Responsabilit� de la Colombie
Des d�cisions de la Cour interam�ricaine des droits de l’homme et des tribunaux colombiens ont en effet �tabli hors de tout doute que l’�tat colombien se rend lui-m�me responsable de violations des droits humains et que des liens entre divers paliers de l’�tat et les paramilitaires (les milices arm�es ill�gales qui commettent les crimes les plus atroces � travers le pays) continuent d’exister. Ces liens sont maintenant r�v�l�s au grand jour, avec une vague sans pr�c�dent d’arrestations, d’inculpations et de peines d’emprisonnement � l’encontre de membres du Congr�s, de politiciens locaux, de fonctionnaires publics et de membres des forces de l’ordre, pour la plupart li�s au parti au pouvoir.
De fait, ces arrestations et inculpations touchent aux plus hauts niveaux du gouvernement et l’entourage du pr�sident colombien actuel, �lvaro Uribe V�lez. Le cousin du pr�sident et la famille de sa ministre des Affaires �trang�res ont entre autres �t� impliqu�s dans le scandale de la « parapolitique ». Mais l’un des cas les plus symboliques est certainement celui de Jorge Noguera, directeur du D�partement administratif de la s�curit� (le DAS, en quelque sorte l’�quivalent de la Gendarmerie royale du Canada) et chef de campagne du pr�sident �lvaro Uribe V�lez en 2002. Accus� d’avoir laiss� infiltrer le DAS par les paramilitaires et d’avoir collabor� avec eux, notamment en leur remettant des listes de syndicalistes � faire assassiner, il a �t� destitu� et la Cour supr�me l’a fait emprisonner dans l’attente de son proc�s.
R�jouissance mais vigilance
Le gouvernement refuse cependant toujours de faire arr�ter, d’accuser ou de punir plusieurs membres des forces publiques et de l’appareil �tatique dont la responsabilit� relativement � de graves violations des droits humains a �t� �tablie par des tribunaux. Dans la m�me veine, les paramilitaires pr�tendument d�mobilis�s continuent de commettre des crimes sans nom, de terroriser les populations locales et de contr�ler des pans entiers de l’�conomie et de la vie politique locale, r�gionale et nationale.
Preuve frappante de l’�tat lamentable des droits humains en Colombie, s’il en fallait une autre : le National Post avan�ait, dans son �dition du 17 juin 2008, que m�me les diplomates canadiens en poste � Bogot� ont re�u des messages de menace de la part des paramilitaires.
En bref, la Colombie demeure un �tat o� la primaut� du droit, la justice et la lutte contre l’impunit� sont mises � mal, o� le gouvernement ne respecte pas ses obligations internationales eu �gard aux droit humains. La l�gitimit� de l’�lection d’�lvaro Uribe V�lez pourrait m�me �tre remise en question par la Cour supr�me de la Colombie en raison des liens entretenus par certains de ses proches et des membres de son gouvernement avec les paramilitaires. En ce moment de r�jouissance, ASF invite donc la communaut� internationale et les autorit�s canadiennes � demeurer vigilantes relativement � la situation des droits humains en Colombie. Mots cl�s : Avocats sans fronti�res Canada (ASF), otages, lib�ration, Forces arm�es, Enl�vement, Colombie (Pays)