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OTAGES AFGHANISTAN : HERVE GUESQUIERE ET STEPHANE TAPONNIIER, LIBRES !

A SPECTS JURIDIQUES - Droit des Otages et Disparus

9 OCTOBRE 2013 - Indemnisation des personnes victimes de prise d’otages - Adoption de la proposition de loi au Sénat - COMPTE RENDU INTEGRAL DES DEBATS (PROVISOIRE)

Indemnisation des personnes victimes de prise d’otages

Adoption en première lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages, présentée par Mme Claudine Lepage et plusieurs de ses collègues et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 657 [2012-2013], texte de la commission n° 26, rapport n° 25).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Claudine Lepage, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Claudine Lepage, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi une proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages.

Le nombre des prises d’otages a fortement augmenté partout dans le monde depuis une quinzaine d’années, et peut-être plus particulièrement encore au cours des cinq dernières années. La France n’échappe pas à ce phénomène. Le ministère des affaires étrangères nous apprend ainsi que, depuis 2009, cinquante ressortissants français ont été victimes d’une prise d’otages, dont trente-cinq dans le cadre d’un acte de terrorisme et quinze dans le cadre d’un acte de grand banditisme.

Il faut bien reconnaître que nous sommes malheureusement tous habitués à entendre ou à lire dans les médias le nombre de jours de détention des otages français à travers le monde, égrenés régulièrement : chaque jour, il y a vingt-cinq ans, chaque semaine, aujourd’hui.

Il n’y a pas de banalisation, mais nous avons appris à vivre avec la conscience que, à quelques milliers de kilomètres de chez nous, plusieurs de nos concitoyens sont retenus prisonniers par des groupes très variés, qui vont d’organisations terroristes structurées à des groupuscules crapuleux. Nous avons appris à vivre avec la conscience que plusieurs de nos concitoyens sont, en ce moment même peut-être, torturés ou parfois assassinés, parce qu’ils sont Français, parce qu’ils exercent leur métier ou parce qu’ils se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

Plus près de nous, ce sont des dizaines de familles qui attendent, espèrent, guettent le moindre signe de vie de leurs proches dans une angoisse intolérable. Je ne pense pas qu’il soit utile d’énumérer la trop longue liste de nos concitoyens encore retenus aujourd’hui au Sahel, au Mali, en Syrie très récemment, ou même au Mexique.

L’État français, notamment le ministère des affaires étrangères, ne ménage pas sa peine, loin s’en faut, pour obtenir au plus vite la fin de ces semaines, de ces mois ou de ces années de calvaire, qu’il fasse le choix de communiquer ou au contraire d’œuvrer dans l’ombre, espérant ainsi obtenir de meilleurs résultats. Il n’est donc pas question ici de contester l’implication exceptionnelle tant de l’État que de la nation tout entière, qui se sent pleinement concernée par la situation des otages.

Souvent, l’issue de ces mois, de ces années de torture et de détresse est favorable, parce que, excepté dans certaines situations dramatiques, les otages sont libérés. L’État et les citoyens ont chacun fait leur travail. Cependant, l’ex-otage doit faire face au plus difficile : un long travail de reconstruction, lent et pénible. C’est bien là l’objet de cette proposition de loi : œuvrer, à son niveau, à une amélioration de la prise en charge, dans toutes ses dimensions, des anciens otages.

Il est exact que, dans la majorité des cas, les victimes de prise d’otages sont indemnisées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, ou FGTI, parce que, comme les chiffres du Quai d’Orsay le confirment, 70 % des prises d’otages de ces dernières années ont été perpétrées par des organismes terroristes.

À ce propos, permettez-moi de faire une légère digression au sujet du FGTI. Plusieurs associations de victimes m’ont indiqué qu’elles estimaient que l’accueil, le suivi et l’indemnisation des victimes n’étaient pas entièrement satisfaisants. À cet égard, gardons à l’esprit que ce fonds indemnise également, selon la même procédure, les victimes de voitures brûlées... En plus du récent rapport de la députée Nathalie Nieson sur le financement des associations d’aide aux victimes, une mission parlementaire sur la reconnaissance et l’indemnisation réelle du préjudice subie serait donc bienvenue.

Pour revenir spécifiquement aux victimes de prise d’otages, il est clair que, dans cette situation, elles ne sont pas indemnisées en tant que victimes de prise d’otages mais en tant que victimes d’acte de terrorisme. Où est le problème, objecteront certains ? L’essentiel est que le dommage soit reconnu et compensé... Eh bien, non ! Les victimes que j’ai eu l’occasion de rencontrer ont un ressenti bien différent.

Rappelons que, parmi les dernières victimes de prise d’otages, trois sur dix ont été enlevées par des groupes mafieux, des narcotrafiquants ou des bandits et non par des organisations terroristes. Il va sans dire que cette distinction n’engendre aucune différence dans l’horreur de la situation : les conditions de détention, la peur, la souffrance, le traumatisme sont les mêmes.

Pourtant, notre législation ne considère pas tous ces otages de la même façon et leur applique une procédure d’indemnisation différente.

Ainsi, dans l’hypothèse d’une personne enlevée par des terroristes, l’indemnisation sera directement gérée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI. La réparation ne nécessitera donc pas de procès, mais relèvera d’une démarche purement administrative.

En revanche, si l’otage a été enlevé par des bandits, il devra d’abord faire reconnaître sa qualité de victime par la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI, qui siège au sein de chaque tribunal de grande instance. Dans l’état actuel du droit, la victime d’une prise d’otage doit apporter la preuve d’une incapacité permanente ou temporaire de travail supérieure à un mois.

Bien sûr, d’aucuns objecteront que le juge reconnaît normalement, dans les cas de prise d’otages, cette incapacité. Soit, mais pourquoi cette différence de traitement ? Pourquoi imposer cette preuve, donc cette nouvelle épreuve ? De plus, dans le cas que je viens de citer, le montant des revenus de la victime sera un élément d’appréciation pour qu’il y ait indemnisation ou non.

Pour quelle raison ne faudrait-il pas unifier le régime d’indemnisation des otages en supprimant cette catégorisation parfaitement inutile et ainsi assurer, quelle que soit la nature des conséquences physiques et psychiques pour les otages, l’indemnisation de toutes ces victimes, justement parce que leur qualité de victimes est incontestée ?

J’en viens ainsi au second enjeu de cette proposition de loi, peut-être le plus important : la reconnaissance symbolique à laquelle aspirent les victimes de prise d’otages.

Ces personnes et leurs proches, tout le monde s’accorde à le dire, ont à faire face à un intense traumatisme physique et psychique. Pourtant, elles ont véritablement le sentiment que ce traumatisme n’est pas reconnu en tant que tel. Elles se confrontent à une absence de législation propre venant s’appliquer de manière spécifique à leur situation.

Cette absence de reconnaissance explicite de la Nation est d’autant plus douloureuse que les victimes se considèrent comme de simples objets participant, en réalité, de la prise en otage de tout le pays. Il faut, en effet, bien entendre qu’un otage politique représente une parcelle de démocratie, une parcelle de la Nation et des valeurs que celle-ci incarne. Lorsqu’un citoyen français est pris en otage, c’est la France tout entière qui subit le même sort et que l’on entend contraindre.

La prise d’otage est bien sanctionnée dans notre droit, mais uniquement en tant que circonstance aggravante de l’infraction que constitue la séquestration ou la détention illégale. C’est donc la volonté du preneur d’otages d’utiliser la personne qu’il détient comme moyen d’obtenir d’un tiers la réalisation ou l’abstention d’un ou plusieurs actes qui va distinguer la qualification de l’infraction et les peines applicables.

Cette considération d’une reconnaissance claire et explicite et d’une indemnisation systématique des victimes est portée depuis de longues années par les associations et plusieurs parlementaires. Une proposition de loi avait d’ailleurs été déposée par notre ancienne collègue Yolande Boyer et déjà signée par de nombreux collègues en 2008.

Aujourd’hui, ce texte, signé par plus de quarante sénateurs et l’ensemble des membres du groupe socialiste, peut enfin être l’occasion de manifester la volonté de la représentation nationale de mieux accompagner les victimes de prise d’otages.

Mes chers collègues, je vous propose donc d’adopter cette proposition de loi, amendée par la commission des lois sur proposition de Mme la rapporteur Esther Benbassa, dont je salue ici le travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Esther Benbassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi n° 657 de Mme Claudine Lepage et quarante de ses collègues membres du groupe socialiste et apparentés, qui vise à faciliter l’indemnisation des victimes de prise d’otages.

Comme il est rappelé dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, les prises d’otages sont toujours des périodes de grande souffrance, tant pour les personnes retenues que pour les membres de leurs familles. L’actualité nous montre, hélas, trop souvent que le fait d’être français peut exposer certains de nos compatriotes présents à l’étranger à en être victimes, du seul fait de leur nationalité.

Selon le ministère des affaires étrangères, une cinquantaine de ressortissants français ont été victimes d’une prise d’otages depuis 2009 : 35 dans le cadre d’un acte de terrorisme, 15 dans le cadre d’un acte de grand banditisme.

Un effort de solidarité nationale tout particulier s’impose donc à l’égard de ces personnes et de leurs proches. La question qui se pose à nous est alors celle du statut juridique de l’otage, peu à peu façonné par le droit international et précisé par le droit interne.

Depuis 1945, le droit international a envisagé la prise d’otages au prisme des conflits armés et l’a rangée, pendant trente ans, parmi les crimes de guerre.

L’article 3, commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949 prohibe « en tout temps et en tout lieu » à l’égard des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, notamment, les atteintes portées à la vie, à l’intégrité corporelle, à la dignité, ainsi que « les prises d’otages ». On retrouve cette prohibition dans les instruments internationaux ultérieurs, notamment dans les deux protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux conventions de Genève et dans le statut de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998.

Cependant, il a fallu attendre l’apparition du terrorisme international dans les années soixante-dix pour que la prise d’otages soit sortie du cadre unique des conflits armés et envisagée en tant qu’infraction indépendante.

En droit français, la prise d’otages n’est pas encore une infraction indépendante. En effet, l’article 224-1 du code pénal dispose : « Le fait [...] d’arrêter, d’enlever, de détenir ou de séquestrer une personne, est puni de vingt ans de réclusion criminelle ».

L’article 224-4 du code pénal allonge la peine à trente ans de réclusion criminelle si la séquestration avait notamment pour but d’obtenir l’exécution d’un ordre ou le versement d’une rançon. Ainsi la prise d’otages est-elle une circonstance aggravante de l’infraction que constitue la séquestration ou la détention illégale.

Cette absence de notion indépendante de prise d’otages dans le droit pénal induit une indemnisation différente selon les circonstances de cet acte, qui donne lieu, ou non, à la qualification d’acte de terrorisme, et ses conséquences pour la victime, c’est-à-dire la gravité des dommages subis.

La présente proposition de loi a alors pour objet de pallier toute divergence dans l’indemnisation des victimes de prise d’otages, en alignant, dès lors que la prise d’otages ne constitue pas un acte de terrorisme, les modalités de leur indemnisation sur celles des victimes d’atteintes graves à la personne.

Lorsqu’une personne est victime d’une infraction pénale, elle dispose de deux voies de droit pour obtenir la réparation du dommage subi et l’indemnisation de son préjudice : soit elle se constitue partie civile devant la juridiction pénale chargée de juger l’auteur des faits, afin d’obtenir la condamnation de celui-ci à lui verser des dommages et intérêts ; soit, si elle ne peut ou ne souhaite pas agir au pénal, elle saisit les juridictions civiles d’une demande de réparation, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.

La mise en œuvre de ces voies de droit peut toutefois se heurter à des difficultés, lorsque l’auteur des faits soit est insolvable, soit, pour un certain nombre de raisons, ne peut comparaître devant la justice française, car il est inconnu, décédé ou pénalement irresponsable, ou parce qu’il se trouve sur le territoire d’un État qui refuse de l’extrader, etc.

Dans ce cas, afin d’éviter que, dans certaines circonstances particulièrement choquantes, une victime ne puisse obtenir la réparation de son préjudice, le législateur a progressivement mis en place, à partir de la loi du 3 janvier 1977, un système d’indemnisation des victimes reposant sur le principe de la solidarité nationale.

Plusieurs dispositifs, fondés soit sur la nature de l’infraction subie, soit sur la gravité du préjudice, ont été instaurés.

D’une part, un régime d’indemnisation intégrale des dommages corporels résultant d’un acte de terrorisme a été mis en place. Cette procédure, définie par le code des assurances, repose sur le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI. Il s’agit ici d’une procédure administrative qui se caractérise par sa souplesse, car aucun formalisme n’est requis, ni aucune condition de délai, et par sa mise en œuvre rapide, le procureur de la République ou l’autorité diplomatique ou consulaire compétente devant, dès la survenance d’un acte de terrorisme, informer sans délai le FGTI des circonstances de l’événement et de l’identité des victimes.

D’autre part, le code de procédure pénale organise l’indemnisation des personnes victimes de certaines infractions pénales graves ou se trouvant dans une situation particulièrement difficile. Il s’agit là d’une procédure juridictionnelle faisant intervenir la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI, une juridiction civile composée à la fois de deux magistrats du siège du tribunal de grande instance du ressort et d’une personne majeure s’étant signalée par l’intérêt qu’elle porte aux problèmes des victimes.

Pour être éligible à cette procédure, la victime doit être de nationalité française, ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire national. Comme en matière de terrorisme, la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.

En résumé, les victimes d’une prise d’otages - je m’attacherai ici à cette seule infraction - sont susceptibles de relever, pour l’indemnisation de leur préjudice, de trois situations différentes.

Premièrement, si la prise d’otages constitue un acte de terrorisme, la victime bénéficie de la procédure instaurée par la loi du 9 septembre 1986 précitée.

Deuxièmement, si la prise d’otages, sans constituer un tel acte, a entraîné la mort de la victime, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, la victime peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice auprès de la CIVI, sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale précité.

Troisièmement, dans le cas contraire, l’intéressé ne peut prétendre à une indemnisation auprès de la CIVI que si, victime d’une atteinte à la personne, il ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice, s’il se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave et si ses ressources sont inférieures au plafond prévu pour l’aide juridictionnelle partielle.

En complétant l’article 706-3 du code de procédure pénale, la présente proposition de loi permettra à toutes les victimes d’être désormais assurées d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice, soit à travers la procédure ad hoc prévue en matière de terrorisme, soit à travers la procédure juridictionnelle instituée via l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Sur le fond, ce texte ne soulève aucune difficulté particulière. Il illustre toutefois la complexité du droit en matière d’indemnisation des victimes d’infractions pénales, sujet sur lequel MM. Philippe Kaltenbach, ici présent, et Christophe Béchu présenteront un rapport d’information à notre commission à la fin du mois d’octobre 2013. (M. Philippe Kaltenbach acquiesce.)

Cette proposition de loi vise surtout - j’insiste sur ce point - à apporter sécurité juridique et reconnaissance symbolique aux victimes de prise d’otages. Par là même, elle attire l’attention sur la nécessité de mieux accompagner ces victimes et leurs familles. À cet égard, je tiens à adresser mon soutien aux deux journalistes enlevés en Syrie aujourd’hui même. Qu’ils reçoivent l’expression de toute notre empathie.

Mes chers collègues, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, je vous demande d’adopter le présent texte dans sa rédaction issue des conclusions de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

(M. Charles Guené remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Kaltenbach. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le Sénat se penche cette après-midi sur une proposition de loi de Mme Claudine Lepage, soutenue par le groupe socialiste. Ce texte vise à mieux indemniser les personnes ayant subi une prise d’otages.

À ce stade du débat, je tiens à rappeler le rôle joué par Robert Badinter dans la prise de conscience des souffrances des victimes. J’ai relu le discours que celui-ci avait prononcé en 1985, lors de la discussion du projet de loi tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation. Il portait, à l’époque, un jugement sévère quant à la manière dont les victimes étaient traitées. Il déclarait : « La victime est trop souvent mal accueillie, mal informée, mal garantie. » À ses yeux, cette attitude traduisait l’indifférence d’une société trop marquée par l’individualisme et l’égoïsme.

M. Michel Le Scouarnec. Voilà !

M. Philippe Kaltenbach. Depuis les années quatre-vingt, un long chemin a été parcouru, mais des avancées restent à accomplir. C’est ce qui est aujourd’hui proposé pour les victimes des prises d’otages. À ce titre, on peut remercier Claudine Lepage d’avoir été à l’origine de ce débat au sein de la Haute Assemblée. Je suis convaincu qu’il nous faudra poursuivre ce travail, pour toujours mieux prendre en charge les victimes et leurs souffrances.

Le constat en a déjà été dressé, ces actes criminels que sont les prises d’otages sont malheureusement en constante augmentation. Un nombre croissant de nos compatriotes en ont été victimes à travers le monde au cours des dernières années. Depuis 2009, une cinquantaine de ressortissants français ont été pris en otage, qu’il s’agisse d’actes terroristes, pour trente-cinq cas, ou d’actes de grand banditisme, pour quinze autres.

Ces ressortissants et leurs proches ont subi et subissent encore des souffrances et un préjudice très importants. La Nation se doit d’être pleinement solidaire de celles et ceux qui ont bien souvent été pris en otage du simple fait de leur nationalité.

Mme la rapporteur l’a clairement indiqué, le droit en vigueur permet déjà d’indemniser ce type de préjudice. Toutefois, nous devons être soucieux d’assurer une plus grande sécurité à celles et ceux qui subissent ces prises d’otages.

L’indemnisation des victimes d’une prise d’otages dépend aujourd’hui du fait que cette dernière soit qualifiée ou non d’acte de terrorisme.

Si c’est le cas, la situation est simple : c’est la loi du 9 septembre 1986 qui s’applique. Ses dispositions sont extrêmement protectrices. Du reste, depuis la création du fonds de garantie des victimes des actes terroristes et d’autres infractions, le FGTI, près de 4 000 victimes du terrorisme ont pu être indemnisées, pour un montant avoisinant les 100 millions d’euros.

En revanche, si la prise d’otages n’est pas qualifiée d’acte terroriste, l’indemnisation dépend de l’étendue du préjudice subi. Dès lors, la situation peut varier.

Aussi, le présent texte tend à garantir une plus grande sécurité juridique pour les victimes. Ces dernières seront mieux protégées et plus aucune différence ne subsistera entre les prises d’otages, que celles-ci soient perpétrées avec des visées terroristes ou avec un seul but crapuleux.

Il s’agit donc bien d’homogénéiser les modalités d’indemnisation. Ce sera là un progrès pour toutes les victimes de prise d’otages, dans la manière dont elles seront reçues, accueillies, suivies et indemnisées.

Certes, on pourra nous expliquer que, dans presque toutes les situations, ces personnes obtiennent des interruptions temporaires de travail supérieures à trente jours. Toutefois, à l’avenir, grâce au présent texte, elles n’auront plus à accomplir de démarches spécifiques en la matière : elles seront automatiquement prises en charge par le FGTI. J’en suis certain, nous souhaitons tous que les victimes soient toutes traitées de la même manière, avec la même rapidité et la même efficacité.

Globalement, ce texte nous rappelle que les victimes doivent être prises en charge par notre société et qu’il faut homogénéiser les modalités de leur indemnisation. Il est essentiel de poursuivre ce travail, dans le cadre d’une réforme générale de l’indemnisation des victimes d’infractions pénales, une question sur laquelle M. Béchu et moi-même nous penchons actuellement. (M. le président de la commission des lois acquiesce.)

La commission des lois et son président, Jean-Pierre Sueur, que je salue, ont été particulièrement attentifs à ce sujet, en nous confiant une mission destinée à dresser un bilan des multiples dispositifs existants et à formuler des propositions en vue d’améliorer les dispositifs en vigueur depuis une trentaine d’années.

Depuis bientôt huit mois, nous avons multiplié les auditions et les déplacements dans diverses juridictions. Sans dévoiler le rapport qui sera présenté le 30 octobre devant la commission des lois, je souligne que nous avons tenu à appréhender l’indemnisation sous tous ses aspects. De fait, il faut prendre en compte l’ensemble des mécanismes destinés à réparer le préjudice subi, c’est-à-dire l’indemnisation, la réparation matérielle et éventuellement la réparation morale.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mon cher collègue, nous saluons le travail important que vous menez avec M. Béchu.

M. Philippe Kaltenbach. Merci, monsieur le président de la commission des lois !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce travail, nous en sommes certains, va éclairer notre assemblée...

Mme Catherine Troendle. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. ... et permettre de nouvelles avancées.

M. Philippe Kaltenbach. C’est le but visé !

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président de la commission des lois, c’est M. Kaltenbach qui a la parole ! Seul M. le président du Sénat a le droit de l’interrompre.

Mme Éliane Assassi. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Certes, monsieur Baylet, mais vous n’exercez pas, sauf erreur de ma part, la présidence de notre assemblée.

M. Jean-Michel Baylet. Heureusement... (Sourires.)

M. le président. Mes chers collègues, la parole est à M. Kaltenbach, et à lui seul.

M. Philippe Kaltenbach. Je remercie l’ensemble des présidents, ceux qui me tressent des lauriers comme ceux qui défendent ma possibilité de m’exprimer devant la Haute Assemblée ! (Nouveaux sourires.)

Les difficultés rencontrées par les victimes d’infractions pénales pour obtenir l’indemnisation effective de leur préjudice doivent bien être prises en compte dans leur ensemble. Le travail aujourd’hui mené par Mme Claudine Lepage et par Mme la rapporteur permettra une avancée pour les victimes de prise d’otages.

Pour ma part, je suis convaincu qu’il faut aller beaucoup plus loin pour faire en sorte que toutes les victimes soient mieux considérées et mieux prises en compte.

Certes, depuis trente ans, des progrès considérables ont été accomplis : nous ne sommes plus à l’époque où Robert Badinter dénonçait le mépris que subissaient les victimes. Néanmoins, de nombreuses étapes restent à franchir.

Il est vrai qu’il faut se pencher sur le cas des auteurs d’infractions. Mme la garde des sceaux s’y emploie à travers un texte très important, portant réforme pénale. En luttant contre la récidive, elle prend réellement le dossier à bras-le-corps et permettra que les auteurs d’infractions soient à la fois punis et réinsérés. Pour autant, il ne faut pas négliger les victimes. Dans le cadre du débat que nous allons consacrer à cette grande réforme pénale, peut-être sera-t-il opportun de garantir également des avancées à ce titre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces avancées figurent dans le projet de loi !

M. Philippe Kaltenbach. J’en étais certain, madame la garde des sceaux ! Sachez que, avec M. Béchu et l’ensemble des membres de la commission des lois, je serai attentif à ce que les victimes ne soient pas oubliées. Pour la prise en charge de leurs préjudices, notamment pour le calcul de leurs indemnisations, il faut permettre ce progrès. Même si la France figure, dans ce domaine, parmi les bons élèves de l’Europe, il faut saisir cette occasion d’étendre encore les droits des victimes et d’améliorer le régime d’indemnisation.

Les victimes ont besoin d’être reconnues et considérées, mais elles méritent également une indemnisation matérielle, permettant la prise en compte de leur souffrance et du préjudice qu’elles ont subi.

De surcroît, sur les travées du groupe socialiste, nous souhaitons que cette préoccupation soit élargie, des victimes de prises d’otages à l’ensemble des victimes.

Nous voterons bien sûr des deux mains la présente proposition de loi, présentée par Mme Claudine Lepage. Ce texte réalise un progrès considérable pour les victimes de prises d’otages, et j’en félicite une nouvelle fois son auteur et Mme la rapporteur ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. - Mme Catherine Troendle applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, recourir à l’enlèvement d’un ou plusieurs individus, afin de les utiliser comme monnaie d’échange, moyen de pression ou gage de garantie, est une pratique ancienne ; aussi vieille, serait-on tenté de dire, que le jeu politico-diplomatique.

La prise d’otage existait, en effet, dès l’Antiquité et a pris parfois une physionomie inattendue. Nous pourrions rappeler les termes du traité de Madrid de 1526, selon lesquels François Ier, défait à la bataille de Pavie, remit à Charles Quint son fils aîné, le dauphin, en gage de l’exécution du traité entre les deux puissances.

À l’époque contemporaine, à l’heure des conflits asymétriques, le recours à la prise d’otage s’inscrit dans une opposition du faible au fort - certains sont malheureusement devenus de véritables orfèvres en la matière. Dès les années soixante-dix, cette exaction fut privilégiée par certains groupes terroristes. En réponse, car il ne fallait bien évidemment pas rester les bras croisés, le législateur a prévu un régime d’indemnisation protecteur, mais limité aux victimes des actes de ces groupes.

Mes chers collègues, le texte proposé à notre examen vise donc à compléter et harmoniser les régimes d’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages. En effet, comme il est indiqué dans l’exposé des motifs et dans le rapport de notre chère collègue Esther Benbassa, il n’existe pas de procédure unique et simplifiée pour toutes ces victimes.

Je ne reviendrai pas sur les différents dispositifs d’indemnisation, selon que la prise d’otage relève d’un acte terroriste, ou en fonction de la gravité du préjudice subi. L’harmonisation de ces procédures équivaut à une reconnaissance que les victimes de prises d’otages - et avec elles, leur entourage plongé, lui aussi, dans de grandes souffrances - ont subi un préjudice particulier, qui nécessite une procédure simplifiée. En conséquence, la proposition de loi prévoit que les victimes d’une prise d’otages, même si cette dernière ne constitue pas un acte de terrorisme, pourront obtenir réparation intégrale du préjudice auprès de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, la CIVI.

Disons-le, ce texte a une portée limitée, car il ne concerne que très peu de personnes, mais il repose, et c’est essentiel, sur l’idée que les victimes de prises d’otages doivent se voir reconnaître la particularité de l’épreuve qu’elles ont traversée.

Aujourd’hui, en droit, la prise d’otages est non pas une infraction autonome, mais une circonstance aggravante de l’infraction d’enlèvement ou celle de séquestration. Dans la situation actuelle, si la prise d’otage n’est pas considérée comme un acte terroriste, les victimes doivent remplir plusieurs critères pour ouvrir la voie à une indemnisation qui s’en trouve, de fait, complexifiée.

Or les témoignages de victimes de prises d’otages se ressemblent souvent. Qu’elles aient été kidnappées en Syrie, au Liban, au Mali ou au Mexique, qu’elles soient restées captives quelques mois ou plusieurs années, elles disent tous la même chose.

Chaque cas de cette forme de séquestration est unique, mais, quels que soient les geôliers, quelles qu’aient été la durée et les conditions de détention, tous les anciens otages nous parlent de cette perte de liberté, de ce sentiment d’être à la merci des ravisseurs, de ces moments d’espoir d’une libération prochaine qui côtoient des moments de terreur face à des actes pouvant aller jusqu’à des simulations d’exécution, ou encore des moments d’abattement et d’angoisse. Et surtout, ils parlent de cette peur permanente qui les étreignait.

Tous aussi témoignent des difficultés du retour à la vie quotidienne et de la dépression qui, souvent, accompagne la libération. Enfin, au-delà des blessures physiques, tous nous parlent de traumatismes durables pour eux-mêmes et, j’y reviens, pour leur entourage.

La question de l’harmonisation des dispositifs d’indemnisation des victimes se pose, et ce d’autant plus que la frontière entre un rapt à caractère terroriste et un enlèvement crapuleux est parfois ténue. L’actualité le montre bien, et nous pensons, ici au Sénat, à tous les otages français aujourd’hui détenus.

La frontière est parfois ténue entre enlèvement politique, enlèvement crapuleux et enlèvement terroriste, car, dans certaines parties du monde, notamment dans les régions les plus instables, celles où l’État peine à imposer l’ordre sur son territoire ou est déliquescent, on voit se développer un véritable business de la prise d’otages. C’est le cas de la zone saharo-sahélienne, par exemple, comme l’ont montré les rapports de nos collègues Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher. Des mafias se livrent aussi à la prise d’otages dans le delta du Niger, en Colombie ou en Irak.

Aujourd’hui, il est donc du devoir de la France, madame la garde des sceaux, de soutenir ceux qui, parmi nos ressortissants ou sur notre territoire, sont victimes d’une prise d’otages. Lors de leur période de captivité, le sort des otages interpelle parfois avec acuité la communauté nationale. Ce soutien doit se poursuivre après leur libération, lorsque, pour eux et leurs familles, vient le temps de la reconstruction, qui n’est pas le plus simple.

Il ne s’agit pas, madame la garde des sceaux, de créer un statut d’otage. Nous n’avons pas le pouvoir d’effacer ces mois, parfois ces années de captivité, et les traumatismes qu’ils ont suscités, mais nous pouvons faire en sorte que les victimes puissent mieux vivre avec eux.

C’est la raison pour laquelle, afin de concilier sécurité juridique et reconnaissance symbolique, les sénateurs radicaux de gauche et mes collègues du RDSE apporteront leur soutien à cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’objectif du présent texte est de permettre à toute victime de prise d’otages d’obtenir une réparation intégrale des dommages subis par cette atteinte, quelle que soit leur gravité et sans avoir à se préoccuper des conditions maximales de ressources. Concrètement, il s’agit d’aligner les modalités de leur indemnisation sur celles des victimes d’atteintes graves à la personne, afin d’éviter que la réparation de l’acte ne varie selon les circonstances.

En effet, aujourd’hui, comme vous l’avez rappelé, la réparation des personnes victimes de prise d’otages est de trois ordres.

Soit la prise d’otages constitue un acte de terrorisme, et dans ce cas la victime pourra être indemnisée selon la procédure instaurée par la loi du 9 septembre 1986, qui prévoit une réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne.

Dans ce cas, le dispositif prévoit une procédure relativement souple en termes de délais, de formalisme et de preuve. Lorsque nos concitoyens sont victimes d’une prise d’otages à visée politique, c’est évidemment la communauté nationale tout entière qui est touchée et qui doit faire face. Dès lors, il ne fait pas de doute que la reconnaissance de ce préjudice, puisqu’il nous touche, n’est pas à démontrer. Très logiquement, la solidarité nationale partage alors la réparation des préjudices subis par la victime.

Soit la prise d’otages ne constitue pas un acte de terrorisme, et la victime peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice auprès de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions.

Ce dispositif ne vise qu’un certain nombre d’infractions : celles qui ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail supérieure ou égale à un mois, les atteintes résultant de faits constitutifs de viol ou d’agression sexuelle, de traite des êtres humains, d’atteintes sexuelles sur mineurs, d’esclavage ou de travail forcé. Cette procédure juridictionnelle classique se déroule alors sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Soit, enfin, aucune des deux précédentes qualifications n’est possible et la victime ne peut prétendre à une indemnisation auprès de la CIVI que si, après une atteinte faite à sa personne, elle ne peut obtenir une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice.

Dans ce cas, les conditions d’indemnisation sont posées par l’article 706-14 du code de procédure pénale, aux termes duquel il appartient à la victime de démontrer qu’elle « ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice » et qu’elle « se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave ».

Certains de mes collègues en commission, et je m’interroge également sur ce point, se demandaient quel est l’intérêt de légiférer sur cette question. Je partage bien évidemment les préoccupations liées à ce problème. Toutefois, il ne semble pas présenter d’intérêt réel dès lors que toutes les situations évoquées précédemment paraissent pouvoir être couvertes.

À ce propos, les représentants de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs sont très clairs : aucune victime de prise d’otages n’a, à ce jour, été confrontée à des difficultés en matière d’indemnisation.

Comprenons-nous bien : nous ne remettons pas en cause la nécessaire préoccupation quant à l’accompagnement des victimes de prises d’otage et de leurs familles dans les situations douloureuses qu’elles vivent. Nous ne remettons pas non plus en cause notre attachement au droit pour toute victime d’infraction pénale d’obtenir la réparation de son préjudice. Pour autant, il nous paraîtrait peu opportun d’instaurer une loi dont l’utilité n’est que de principe. Cela pourrait d’ailleurs nous être reproché.

Je comprends le souhait d’unification du régime d’indemnisation des victimes de prises d’otages, mais alors que celui-ci ne fait l’objet d’aucune contestation réelle, et à côté de la demande d’accompagnement à laquelle aucune réponse n’est apportée par ce texte, ce résultat paraîtra bien maigre et inutile pour les victimes.

Nous pourrions, au contraire, nourrir une réflexion plus large sur les dispositifs concrets qui, au-delà de l’indemnisation, permettraient d’organiser un accompagnement plus large. Au fond, il n’est pas inintéressant de se poser la question à cette occasion.

Ce dispositif cherche, en réalité, à donner plus de considération à la détresse psychologique des victimes qui ont vécu, on le comprend, des situations traumatisantes. Pour autant, peut-on imaginer qu’une indemnisation pécuniaire puisse régler réellement et complètement ce problème ?

Mme Claudine Lepage. Certainement pas.

Mme Éliane Assassi. Personne ne le pense !

Mme Catherine Troendle. Dans tous les cas, et si vraiment il apparaissait nécessaire de prévoir un nouveau dispositif d’indemnisation, peut-être pourrions-nous attendre les résultats des travaux que vous avez vous-même, madame la garde des sceaux, commandés à nos collègues Christophe Béchu et Philippe Kaltenbach. Ceux-ci nous livreront très prochainement leurs réflexions et leurs propositions sur les multiples dispositifs d’indemnisation que prévoit notre droit. Ce rapport nous permettrait d’avoir une approche plus globale de ce problème, mais aussi de traiter d’autres difficultés qu’il mettra peut-être en évidence.

Mes chers collègues, telles étaient les réflexions que je souhaitais partager avec vous sur ce texte, dont j’approuve de nouveau l’idée profonde, mais qui semble devoir mûrir, soit au cours de la navette législative, soit, peut-être, après une remise à plat complète du problème, pour que nous puissions repartir sur des bases plus approfondies et harmonisées.

Ainsi, prenant acte de la bonne volonté de l’auteur du texte et du travail de Mme la rapporteur, je réserve mon adhésion au résultat qui ressortira du travail parlementaire, en espérant que cette discussion pourra appuyer plus fortement l’intérêt concret et réel de cette mesure.

M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.

M. Hervé Marseille. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, le présent débat me touche particulièrement, parce que j’ai le triste privilège d’être le maire d’une commune des Hauts-de-Seine, Meudon, qui a compté jusqu’à deux otages parmi ses habitants.

Je veux parler du journaliste Hervé Ghesquière, enlevé il y a quelques années en Afghanistan et qui a depuis lors été libéré, et de Thierry Dol, habitant de Meudon-la-Forêt et dont la famille réside dans le département de mon collègue Maurice Antiste, en Martinique. Il est toujours otage, quelque part près du Niger, où lui et ses compagnons d’infortune ont été enlevés il y a plus de trois ans.

Cette situation appelle d’emblée deux observations. Premièrement, être otage peut arriver à n’importe qui, n’importe quand. (M. le président de la commission des lois acquiesce.) Cela peut concerner un ami, un parent, un voisin. Deuxièmement, Hervé Ghesquière, comme d’autres, a pu être libéré ; il faut donc garder espoir et rester optimiste sur les actions qui sont menées, même si, parfois, certaines situations connaissent des issues tragiques.

Aussi, vous comprendrez que je sois attentif à l’initiative de notre collègue Claudine Lepage, qui a déposé cette proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages.

Notre rapporteur, dont je salue le travail, n’a pas manqué de souligner la complexité actuelle des dispositifs d’indemnisation des victimes. Les régimes juridiques sont au moins au nombre de deux. Dans le cas d’une prise d’otages qualifiée d’acte terroriste, il convient d’avoir recours à la procédure instituée par la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans les autres cas, l’accès à l’indemnisation dépend de l’étendue du dommage subi.

Aussi, pour les cas « hors terrorisme », la proposition de loi permettra à toutes les victimes de prises d’otages d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice auprès des commissions d’indemnisation des victimes.

Cette proposition de loi insère au dernier alinéa du 2° de l’article 706-3 du code de procédure pénale la référence « 224-4 ». Le code pénal vise à cet article la personne arrêtée, enlevée, détenue ou séquestrée, qui l’a été comme otage, soit pour préparer ou faciliter la commission d’un crime ou d’un délit, soit pour favoriser la fuite ou assurer l’impunité de l’auteur ou du complice d’un crime ou d’un délit, soit pour obtenir l’exécution d’un ordre ou d’une condition, notamment le versement d’une rançon.

Les experts auditionnés par notre rapporteur s’accordent à dire qu’une telle extension ne devrait concerner en réalité qu’un nombre limité de personnes. En effet, il est particulièrement rare que quelqu’un qui a été pris en otage ne se voie pas reconnaître une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail, ou ITT, supérieure ou égale à un mois, ce qui lui permet, de fait, d’être éligible à l’article 706-3 du code de procédure pénale. S’il s’agit ici d’une modification de cohérence dans le dispositif de l’indemnisation des victimes, la précédente remarque sur l’ITT fait sens.

Être pris en otage est un traumatisme qui marque lourdement une vie, et a fortiori dans les cas de terrorisme.

Le ministère des affaires étrangères évalue à une cinquantaine le nombre de Français retenus en otages à l’étranger entre 2009 et 2013, dont trente-cinq dans le cadre d’un acte de terrorisme, comme l’a rappelé notre rapporteur. Ces dernières années, le simple fait d’être Français constitue, dans certaines parties du monde, un risque important, voire un facteur motivant pour les preneurs d’otages.

Une cinquantaine d’otages ces quatre dernières années : le bilan est bien trop lourd et il est particulièrement inquiétant de constater son aggravation. En 2004, le ministère des affaires étrangères dénombrait onze personnes prises en otage ; en 2011, elles étaient cinquante-neuf, multipliant ainsi par trois la liste des pays - désormais au nombre de quinze - dans lesquels certains de nos compatriotes sont retenus. L’augmentation est donc très forte !

Les touristes et a fortiori les salariés expatriés représentent des cibles privilégiées. Aussi, l’autorité judiciaire n’a pas cessé de faire évoluer sa jurisprudence. Par l’arrêt du 7 décembre 2011 opposant la société Sanofi Pasteur à Peyret, la Cour de cassation n’a fait que consacrer une tendance développée notamment par les juges du fond. Dès lors, l’obligation de sécurité imposée à l’employeur est devenue particulièrement large.

À ce stade, je tiens à dire qu’il faudrait également, puisqu’on parle des États, impliquer davantage les grandes entreprises qui sont concernées par l’envoi de salariés à l’étranger et qui sont étrangement muettes, notamment ces derniers temps.

M. Jean-Michel Baylet. C’est vrai !

M. Hervé Marseille. Il faut que ces entreprises assurent leurs obligations, sur place, mais également en s’occupant des familles, et je reviendrai sur ce point.

Un employé expatrié pourra maintenant invoquer un manquement de l’employeur à certaines de ses obligations, parmi lesquelles l’obligation de sécurité mentionnée à l’article L. 4121-1 du code du travail.

La cour d’appel avait retenu que la salariée avait été victime d’une agression alors qu’elle se trouvait, « du fait de son contrat de travail », dans un lieu particulièrement exposé au risque. Par cette formulation, les juges ont pris soin de ne pas faire mention d’un espace défini, si bien que l’analyse se fera au cas par cas, y compris pour des pays non référencés à risque par le ministère des affaires étrangères. Aussi, nous pouvons nous réjouir de l’évolution de cette jurisprudence.

À l’occasion de l’examen de ce texte, il convient de réaffirmer que nous n’oublions pas les otages qui ont péri et la douleur de leur famille, les drames traversés par les anciens otages.

Nous n’oublions pas les otages actuellement retenus dans le monde, que ce soient Daniel Larribe, Thierry Dol, Pierre Legrand, Marc Féret, détenus au Sahel par AQMI, Al-Qaïda au Maghreb islamique, depuis plus de trois ans, Serge Lazarevic enlevé le 24 novembre 2011 au Mali, le maestro franco-mexicain Rodolfo Cazares, Jules Berto Rodriguez Léal enlevé au Mali, Francis Collomp, enlevé au Nigéria le 19 décembre 2012, les deux journalistes Didier François et Édouard Elias, et, comme on l’a appris ce matin, Nicolas Hénin et Pierre Torres, qui seraient détenus en Syrie.

Pour chacune de ces situations, nous ne doutons pas de la mobilisation du Gouvernement, qui met en œuvre tous les efforts nécessaires pour obtenir la libération de nos ressortissants. Ces efforts sont souvent silencieux, dans l’intérêt même des otages, afin de ne pas compromettre leur libération. Toutefois, ce silence laisse malheureusement les familles, qui attendent, jour après jour, un appel téléphonique pouvant survenir à n’importe quel moment, dans une incertitude douloureuse, on peut le comprendre. Aussi, nos pensées sont également tournées vers elles, et il convient de les soutenir d’une attention sans failles.

Je voudrais, madame la garde des sceaux, profitant de votre présence, vous demander d’appuyer la demande que j’ai formulée pour l’épouse de Thierry Dol. Alors que son mari est détenu en otage depuis trois ans, elle est sans emploi.

J’ai saisi à ce sujet l’entreprise pour laquelle son mari travaillait : celle-ci doit connaître des difficultés financières puisqu’elle n’a pas trouvé un timbre pour me répondre... J’ai écrit à M. le ministre des affaires étrangères - j’attends sa réponse -, ainsi qu’à M. le Président de la République qui, lui, m’a répondu qu’il transmettrait la demande à Pôle Emploi. Je pense que l’on peut aller plus loin et que, dans de telles circonstances, pour des gens qui attendent depuis trois ans, on doit pouvoir faire quelque chose.

En tout état de cause, cette proposition de loi, qui simplifiera l’indemnisation de certaines personnes victimes de prises d’otage, va dans le bon sens. Aussi, avec l’ensemble des membres de mon groupe, je la soutiendrai, madame Lepage, et je vous en remercie. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous occupe pour l’heure vise à permettre à toute victime de prise d’otages d’obtenir une réparation intégrale des dommages subis par cette atteinte à la personne, quelle que soit leur gravité et sans avoir à se préoccuper des conditions maximales de ressources.

Cette proposition de loi contitue une avancée, et nous voterons donc en sa faveur. Je le ferai d’autant plus volontiers que j’ai été très sensible aux propos de Mme Lepage, qui a su donner beaucoup d’humanité à son intervention de tout à l’heure. C’est une chose importante par les temps qui courent.

On peut aisément effectivement s’accorder sur le fait que les prises d’otages constituent toujours pour ceux qui en sont victimes des périodes d’intenses souffrances, et on est encore loin des réalités en disant cela. Ces victimes, une fois libérées, ne doivent donc pas se heurter à une absence de procédure d’indemnisation unifiée.

L’intérêt de votre proposition de loi, madame Lepage, est de rattacher cette infraction au régime d’indemnisation prévu par l’article 706-3 du code de procédure pénale et ainsi de permettre qu’elle ne soit plus punie juridiquement en tant que circonstance aggravante de l’infraction de séquestration ou de détention illégale.

En alignant les modalités d’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages sur l’indemnisation des victimes d’atteintes graves à la personne, on permet donc une réparation intégrale des dommages subis. Il ne sera plus nécessaire pour les victimes de prouver l’existence d’une incapacité permanente ou d’une ITT d’au moins un mois pour voir leur demande d’indemnisation jugée recevable par la commission d’indemnisation des victimes d’infractions.

Les personnes reconnues victimes d’un acte terroriste continueront, quant à elles, de bénéficier des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre applicables aux victimes civiles de guerre.

Ainsi, l’ensemble des victimes de prise d’otages seraient donc désormais assurées d’obtenir la réparation intégrale de leur préjudice, soit à travers la procédure ad hoc prévue en matière de terrorisme, soit à travers la procédure juridictionnelle instituée par l’article 706-3 du code de procédure pénale.

Je formulerai toutefois une remarque. Si les pouvoirs publics ont gardé la main sur la gestion du fonds de garantie des victimes de terrorisme et d’autres infractions, qui est un organisme public autonome, avec quatre représentants de ministères sur les dix membres du conseil d’administration, ils se sont, en revanche, désengagés de son financement. Ce sont donc les assurés des contrats d’assurance de biens qui sont sollicités au nom de la solidarité nationale.

Ainsi, et il me paraît important de le rappeler, les trois quarts du financement proviennent des contributions des assurés, pour 269 millions d’euros, le reste étant financé par les recours contre les auteurs d’infraction, pour 71 millions d’euros, et par des placements financiers, pour 20 millions d’euros.

Or il nous semble que, en la matière comme d’ailleurs sur d’autres sujets, l’État doit rester le principal contributeur, sous peine ici de privatiser l’indemnisation des victimes.

Comme beaucoup de choses - auxquelles je souscris -ont été déjà dites sur ce texte, je conclurai mon propos en disant simplement que l’indemnisation rapide, complète et efficace des victimes de prises d’otages est importante. La réparation du dommage est fondamentale pour la victime, pour sa reconstruction, mais aussi pour sa famille et pour ses proches. Il existe à l’évidence des failles dans les procédures d’indemnisation, celle que je viens d’évoquer à l’instant, qui concerne le financement du fonds de garantie des victimes, et celle que la présente proposition tente de combler.

Toutefois, comme vous l’avez dit avant moi, madame Lepage, cette proposition de loi n’est que partielle et ne permet pas de combler toutes les failles. Le rapport d’information annoncé nous éclairera sans doute. En attendant, nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Kalliopi Ango Ela.

Mme Kalliopi Ango Ela. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi part du constat suivant : les prises d’otages augmentent à travers le monde, et la France n’échappe évidemment pas à ce phénomène. Le nombre de nos compatriotes enlevés ou détenus en otages croît de façon inquiétante. L’annonce faite, ce matin, par le Premier ministre que deux nouveaux journalistes français sont détenus en Syrie en atteste malheureusement.

D’ailleurs, comme le souligne dans son excellent rapport ma collègue Esther Benbassa, « l’actualité nous montre [...] que le fait d’être Français peut exposer certains de nos compatriotes présents à l’étranger à en être victimes ». Je salue donc la position de notre commission des lois, qui en a déduit qu’un « effort de solidarité nationale tout particulier s’imposait » à l’égard des victimes et de leurs proches.

Dès lors, le groupe écologiste partage et soutient fermement l’objectif porté par la proposition de loi de Mme Lepage, représentant, comme moi, les Français établis hors de France.

Visant à renforcer la sécurité juridique de ces victimes en reconnaissant explicitement un droit à l’indemnisation et à la réparation intégrale de leur préjudice, ce texte recouvre les valeurs défendues de longue date par les écologistes.

Comme le souligne la Cour des comptes, dans son rapport public de 2012 consacré à la politique d’aide aux victimes d’infractions pénales : « La réparation des dommages causés est un élément essentiel de la ″reconstruction″ de la victime ».

Tout en apportant aux victimes de prise d’otages la reconnaissance symbolique qui leur est due, l’adoption de cette proposition permettra d’harmoniser les modalités d’indemnisation. Ainsi, toutes ces victimes pourront obtenir la réparation intégrale de leur préjudice auprès des CIVI lorsqu’elles ne relèvent pas des mécanismes institués par la loi relative à la lutte contre le terrorisme de 1986.

Enfin, permettez-moi, mes chers collègues, toujours dans le souci de prendre en compte l’ensemble des victimes, d’apporter deux précisions, certes légèrement en marge du texte dont l’examen qui nous réunit aujourd’hui, mais en lien direct avec le sujet qui nous préoccupe.

Je souhaiterais aborder brièvement la question des victimes de prise d’otages relevant de la loi précitée. Comme le souligne notre rapporteur, le ministère des affaires étrangères évalue à une cinquantaine le nombre de Français retenus en otages à l’étranger entre 2009 et 2013, dont trente-cinq dans le cadre d’actes terroristes. Cela signifie que 70 % des prises d’otages dont sont victimes nos compatriotes à l’étranger ne relèvent pas du régime d’indemnisation de droit commun.

Ainsi, lorsque la « prise d’otages », ou plutôt les faits constitutifs de la circonstance aggravante de l’infraction d’enlèvement et de séquestration, est qualifiée d’« actes de terrorisme » au sens de l’article 421-1 du code pénal, le régime d’indemnisation des victimes relève d’une procédure reposant sur le FGTI, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.

Je souhaite donc, sur ce point, attirer l’attention de nos collègues Philippe Kaltenbach et Christophe Béchu, à qui notre commission des lois a, à juste titre, confié l’élaboration d’un rapport d’information sur les multiples dispositifs dont disposent les victimes d’infractions pénales pour obtenir réparation de leur préjudice.

Il me semble nécessaire, en effet, qu’une réflexion soit menée autour de ces procédures d’indemnisation relevant du FGTI, et j’espère que ce rapport abordera cette question.

Trois éléments m’interpellent en particulier.

Premièrement, le ministère des affaires étrangères ne fait toujours pas partie des ministères membres du conseil d’administration du FGTI, alors que nous relevons, depuis le début de ce débat, que la majorité des prises d’otages de nature terroriste dont sont victimes nos compatriotes se déroulent à l’étranger, et ce depuis plusieurs années déjà. C’est la raison pour laquelle le ministère des affaires étrangères me semble avoir toute sa place aux côtés des quatre autres ministères membres de ce conseil d’administration.

Deuxièmement, je veux évoquer les modalités d’évaluation de l’offre d’indemnisation proposée aux victimes par le FGTI, en vertu de l’article L. 422-2 du code des assurances. Certaines victimes ont déploré les montants parfois dérisoires de ces offres.

Troisièmement, cela me paraît particulièrement surprenant lorsque l’on sait que ce fonds est alimenté par une contribution forfaitaire de 3,30 euros, prélevée sur chaque contrat d’assurance de biens et qu’il n’est, dès lors, pas affecté par les contraintes de restriction du budget de l’État. Deux éminents professeurs de droit, Laurent Leveneur et Yvonne Lambert-Faivre, soulignent, d’ailleurs, cette incohérence dans leur précis de droit des assurances.

Je suis donc ravie que ce rapport d’information soit prochainement présenté au Sénat par nos deux collègues, et j’espère, dans l’intérêt des victimes, que certaines de ses recommandations viendront clarifier les modalités d’indemnisation, par le FGTI, des victimes de prises d’otages de nature terroriste, ainsi que le mode de fonctionnement de ce dernier.

Je terminerai mon intervention en formulant une ultime remarque. Comme l’indemnisation des victimes passe par le droit à un procès équitable et un égal accès de tous à la justice, je saisis l’occasion de votre présence, madame la garde des sceaux, pour manifester mon inquiétude quant à la diminution de 10 % du budget de l’aide à l’accès au droit, soit 32 millions d’euros, dans le projet de loi de finances pour 2014, récemment présenté en conseil des ministres.

Je tenais en particulier à saluer votre intention de déposer un amendement, comme vous l’avez annoncé il y a trois jours, afin de revenir sur la refonte envisagée de l’indemnisation de l’aide juridictionnelle. Tout comme vous, madame la garde des sceaux, je pense également que nous avons « raison d’être plus exigeants avec la gauche » !

Après ces deux précisions, je réaffirme, comme vous l’aurez compris, chère Claudine Lepage, que le groupe écologiste votera sans hésitation votre proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nos pensées convergent manifestement, comme l’ont souligné les différents orateurs, vers les personnes qui sont victimes de séquestration, de prise d’otages, quelle qu’en soit la raison - actes terroristes ou actes criminels d’une autre nature.

Nous pensons à ces femmes et à ces hommes, à leurs enfants, à leurs parents, à leurs frères et sœurs, à leurs familles, à tous leurs proches, qui vivent intensément chaque jour dans l’attente - insupportable sur le plan psychologique - de nouvelles, en espérant fortement qu’elles soient bonnes.

Nous pensons à des drames survenus récemment, à Philippe Verdon décédé au Mali, à Yann Desjeux tué à In Amenas, en Algérie. Grâce aux témoignages de celles et ceux qui en ont réchappé, nous savons à quel point il est terrible de vivre une prise d’otages.

Il y a trois semaines, aux Invalides, s’est tenue une cérémonie en hommage aux victimes des actes de terrorisme. Une jeune femme, Muriel Ravey, a témoigné de ce qu’elle avait vécu minute par minute pendant la prise d’otages, des heures qui ont suivi son départ du site et des semaines et des mois suivants, au cours desquels elle a décidé de s’éloigner, compte tenu de la difficulté qu’elle éprouvait à reprendre place dans la société.

Incontestablement, les effets sont dévastateurs sur la personnalité, sur l’intégrité physique et psychologique des personnes qui subissent ces expériences extrêmement douloureuses. Nous leur devons des égards, mais aussi de la solidarité.

Nous leur devons des égards parce que nous savons que c’est par leur force intérieure, par la présence, l’affection et l’empathie de leurs proches, y compris de leurs proches sur le plan professionnel, que ces personnes peuvent reprendre des forces et tenir debout. Mais nous savons aussi que cette blessure intérieure est forcément profonde et lourde à supporter.

Nous pensons aussi à celles et ceux qui attendent, sans nouvelles, et qui sont parfois confrontés à des difficultés matérielles.

Nous essayons d’améliorer le dispositif d’indemnisation des victimes. Madame Lepage, votre proposition de loi est bienvenue, car elle vise à harmoniser le mode d’indemnisation des victimes. La question d’un statut unique pour les otages est toutefois délicate.

En effet, dans notre législation, dans les procédures que nous avons mises en œuvre, dans les décisions de justice qui ont été rendues, le terrorisme est classé comme une catégorie particulière. Sans établir de hiérarchie entre les victimes, sans imaginer qu’il puisse y avoir une échelle de la souffrance, il est certain que le crime terroriste est particulier, même si toutes les prises d’otages sont des actes de guerre perpétrés en temps de paix, quels qu’en soient les motifs.

Néanmoins, nous n’avons pas à faire de différence dans la façon dont sont traitées les victimes de prises d’otages. Ces personnes méritent que notre code pénal reste répressif et que, si nécessaire, nous accentuions cette pression. Nous devons apporter des réponses diligentes, fermes et efficaces au travers du code pénal. Mais les procédures civiles doivent, elles aussi, contribuer à assurer une juste indemnisation des victimes, même si celle-ci ne sera jamais à la hauteur de ce qui serait nécessaire.

Plusieurs intervenants l’ont rappelé, nous avons à notre disposition le FGTI, créé par la loi de 1986 et dont le champ a été élargi en 1990. Vous le précisiez à l’instant, madame Ango Ela, son budget est abondé par une somme forfaitaire prélevée sur tous les contrats d’assurance. En 2012, quelque 57 nouvelles personnes ont sollicité ce fonds en vue d’être indemnisées. Depuis 1986, il a attribué une dotation globale en indemnisations individuelles d’un montant de plus de 93 millions d’euros.

Cette somme montre l’importance de son action, même si elle est bien évidemment dérisoire au regard de la souffrance et des dommages vécus par les victimes. Elle montre également, comme l’ont relevé plusieurs d’entre vous, que ce commerce de la prise d’otages est devenu absolument infernal. Nos compatriotes sont exposés non seulement sur le territoire national, mais également à l’étranger, à devenir des monnaies d’échange. Une prise d’otages, c’est un acte de guerre en temps de paix ! Des personnes sont arrachées à leurs proches, à elles-mêmes et servent d’objets de négociations.

Comme le rappelait M. Marseille, les familles souffrent aussi de la difficulté qu’a le Gouvernement à les informer quant à la situation de leurs proches. Il est toujours extrêmement délicat de rendre publiques, ou simplement de partager, des informations qui peuvent mettre en péril les otages. L’insatisfaction est donc forcément grande.

Par ailleurs, les familles ont le sentiment que les procédures mises en œuvre ne sont pas forcément diligentes et que les informations en provenance de l’autorité judiciaire ne sont pas suffisantes. Pourtant, il existe à la section antiterroriste un magistrat référent pour les victimes d’actes terroristes, et des rencontres régulières sont organisées. Les familles ont néanmoins le sentiment d’un manque de célérité, d’information, de précision.

En outre, lorsque des informations - et elles ne sont pas forcément fiables - sont données par les médias, les familles ont le sentiment que ces derniers sont mieux informés que l’autorité judiciaire, que les journalistes vont plus vite que les magistrats. La plupart du temps, ce sentiment n’est pas fondé, mais on peut comprendre leur douleur et leur empressement à obtenir la moindre bribe d’information - une difficulté qui ne fait qu’accroître la souffrance que vivent ces familles. Les CIVI, qui sont implantées dans chaque tribunal de grande instance, indemnisent les victimes d’infractions pénales.

Je le dis d’emblée, le Gouvernement est favorable à votre proposition de loi, madame Lepage, parce que la démarche qui la sous-tend est incontestablement judicieuse et bénéfique. Toutefois, se pose la question des victimes, qui a d’ailleurs été soulevée par M. Kaltenbach, sur laquelle il nous apportera certainement, dans le rapport d’information qu’il doit rendre avec M. Béchu, des éléments d’analyse et des propositions.

Cette question est à la fois complexe et pressante : elle nous pousse à mettre à plat les dispositifs qui ont été élaborés et modifiés au fil du temps et qui ne répondent pas de façon complète et vraiment satisfaisante aux différentes situations auxquelles nous sommes confrontés.

Pour articuler les actions des différents ministères, puisque - vous le savez - l’État est présent au sein du FGTI par l’intermédiaire de quatre ministères, nous avons, depuis quelque mois, décidé de collaborer au niveau interministériel en amont des réunions de ce fonds.

Je rappelle que le FGTI a été créé dans un cadre juridique destiné à prendre en compte les victimes, grâce - il faut le dire - à l’allant d’un certain nombre d’associations, notamment de SOS Attentats. Cette association, à l’origine de laquelle se trouve Mme Rudetzki, est extrêmement active, mais également très exigeante s’agissant du fonctionnement du FGPI. L’époux de Mme Rudetzki, aujourd’hui décédé, a d’ailleurs participé à la mise en place du fonds et à son fonctionnement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez interrogée et parfois même alertée sur le fonctionnement du FGTI. Ce dernier a fonctionné ; il a répondu à des besoins.

Monsieur Marseille, grâce à l’initiative prise au niveau de l’État, notamment du ministère de la justice, les familles d’otages peuvent désormais voir leur préjudice spécifique reconnu et, ainsi, solliciter une indemnisation. Monsieur le sénateur, je m’engage bien entendu à prendre contact avec l’épouse de M. Dol et à l’accompagner de façon très active dans la recherche d’une activité professionnelle rémunérée. Cela dit, en l’état actuel des dispositions que nous avons fait adopter par le FGTI, celle-ci peut d’ores et déjà prétendre à la reconnaissance de son préjudice spécifique et donc à une indemnisation en tant que membre de la famille d’un otage.

Grâce à la procédure de la saisine directe et la possibilité qui lui est offerte de verser des provisions et des indemnisations, le FGTI apporte un réel service. Dans ces conditions, si nous sommes attentifs et réceptifs à toutes les interpellations concernant le fonctionnement de ce fonds, nous examinerons ces demandes avec prudence, de façon à ne pas fragiliser ce dispositif, qui a montré son efficacité.

Je le répète, les associations de victimes sont extrêmement actives. J’ai parlé de SOS Attentats, mais j’aurais pu citer la FENVAC, la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs, l’Association française des victimes du terrorisme, ou AFTV, Otages du monde... Ces associations font entendre les besoins des victimes, portent haut leur voix et, lorsqu’elles ont l’occasion de le faire, expriment, souvent avec beaucoup d’amertume - on peut le comprendre - leur insatisfaction, leur mécontentement, leur inquiétude, leurs attentes. Nous les écoutons avec la plus grande attention et nous prenons des dispositions pour leur apporter des réponses.

La présente proposition de loi constitue l’une de ces réponses. Elle permet d’engager le travail d’harmonisation qui nous permettra de traiter avec plus de justice les victimes d’attentats et leurs parents. Le Gouvernement la soutient donc avec beaucoup de force. Cependant, comme plusieurs sénatrices et sénateurs l’ont déclaré, y compris Mme Lepage et Mme la rapporteur, il reste du travail à accomplir, et nous devons encore avancer.

Sur la question des victimes en général, M. Kaltenbach et Mme Ango Ela m’ont interpellée sur des points très précis.

Monsieur Kaltenbach, vous m’avez interrogée sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive, que nombre d’entre vous semblent impatients d’examiner, y compris, du reste, ceux qui ne souhaitent ni en débattre ni le voter... (Sourires.)

Monsieur le sénateur, sachez que ce texte fait une place particulière aux victimes. En effet, nous y avons rassemblé des dispositions éparses du code de procédure pénale qui concernent les victimes. En outre, nous avons renforcé les droits de ces dernières, notamment en leur octroyant la possibilité d’alerter le juge et de faire valoir leurs intérêts et leurs droits, y compris pendant la période d’exécution de la peine. Nous en débattrons plus en détail lorsque le texte sera examiné par le Sénat.

Sachez toutefois que nous irons plus loin. Alors que nous devons transposer, avant le mois de novembre 2015, une directive européenne, adoptée à la fin de l’année dernière, qui garantit aux victimes des droits et un accompagnement individualisé, nous mettrons en place ce dispositif, de manière expérimentale, dès janvier 2014.

Mesdames, messieurs les sénateurs, toujours en ce qui concerne les victimes, mais pour aller plus loin, soyez assurés qu’il s’agit, pour le Gouvernement, d’une préoccupation réelle, laquelle s’est traduite par une augmentation de 25,8 % du budget de l’aide aux victimes dès l’année dernière, alors que ces crédits diminuaient depuis plusieurs années. En outre, vous savez que le rapport de Mme Nathalie Nieson est en cours d’expertise au ministère de l’économie et des finances : après avoir examiné leur solidité financière, nous arbitrerons entre les différentes pistes qu’il dessine.

Concernant l’aide juridictionnelle, je confirme que le Gouvernement présentera aux parlementaires un amendement au projet de loi de finances dont l’adoption permettra de supprimer la disposition relative à la modulation des unités de valeur sur l’ensemble du territoire.

Il demeure que la réforme de l’aide juridictionnelle est essentielle pour consolider le dispositif et pour le pérenniser. Pour apporter des réponses, il est nécessaire de dégager des ressources. En effet, si nous ne disposons pas de systèmes efficaces et durables, la logique comptable nous obligera, à un moment ou à un autre, à réécrire les critères d’indemnisation, à plafonner les montants, à chercher par tout moyen les gisements possibles d’économies et, par là même, à faire injure et violence aux victimes.

À l’instar du FGTI ou des commissions d’indemnisation des victimes, les CIVI, l’aide juridictionnelle est une politique de solidarité nationale : c’est le minimum que nous devons à des personnes victimes d’infractions pénales, de crimes terroristes ou autres. Si nous devons leur témoigner sans ambiguïté égards et considération, nous devons aussi faire en sorte que ne s’ajoutent pas à leur souffrance psychologique des difficultés matérielles injustes et des obstacles supplémentaires à surmonter.

Je le répète, c’est très volontiers que le Gouvernement émet un avis favorable à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

Article 1er

Au dernier alinéa du 2° de l’article 706-3 du code de procédure pénale, après la référence : « 224-1 C, », est insérée la référence : « 224-4, ».

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(L’article 1er est adopté.)

Article 1er bis (nouveau)

La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. - (Adopté.)

Article 2

(Supprimé)

Intitulé de la proposition de loi

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par Mme Printz, est ainsi libellé :

Compléter cet intitulé par les mots :

crapuleuse ou politique

La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Madame la garde des sceaux, monsieur le président, mes chers collègues, vous l’aurez remarqué, aujourd’hui, tout le monde prend en otage tout le monde. L’utilisation actuelle de l’expression « prise d’otages » pose un vrai problème sémantique. Selon la presse, même la RATP peut prendre en otage ! Il faut donc mettre du sens dans tout cela.

Il existe deux types de prise d’otages.

La prise d’otages « crapuleuse » consiste, par exemple, à prendre en otage le guichetier d’une banque et à exiger de l’argent contre sa libération.

Dans le cas de la prise d’otage effectuée par des terroristes, l’otage devient un objet qui sert à exercer une pression au nom de revendications politiques ou politico-religieuses. On peut dire que c’est un otage politique. En effet, l’action de tels preneurs d’otages est bien politique !

Dès lors, il serait bon, pour les victimes comme pour l’ensemble de nos concitoyens, de qualifier ainsi cette action. Comme les qualifications de « crime de guerre » ou de « crime contre l’humanité », la dénomination « otage politique » permettra de nommer les choses justement et de reconnaître la réalité. Les victimes pourront se reconstruire par cette prise de sens. D’ailleurs, Mme la rapporteur dit elle-même que l’essentiel est la reconnaissance du statut de l’otage.

Le débat sur l’indemnisation a le mérite d’exister, mais il faut comprendre que, quand bien même l’otage politique recevrait de l’argent d’un organisme privé, cela ne suffit pas. L’otage politique est détenu pour son identité propre, mais aussi pour son appartenance à une communauté. Il est une parcelle et le symbole de cette communauté, qui est souvent une démocratie. Ce lien très fort est « non dit » aujourd’hui.

Tous les otages politiques sont des victimes. Or, sans qualification spécifique, ce sont des victimes certes indemnisées, mais jamais complètement reconstruites.

Pour terminer, cette qualification de « politique » me semble de nature à aider les otages à ester en justice, notamment auprès de la Cour pénale internationale de La Haye.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Esther Benbassa, rapporteur. Le droit pénal ne connaît pas la distinction entre « prise d’otages crapuleuse » et « prise d’otages politique » : il ne connaît que la distinction entre « prise d’otages commise dans le cadre d’un acte terroriste » et « prise d’otages de droit commun ».

La commission a donc émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Printz, les adjectifs qualificatifs que vous proposez d’ajouter à l’intitulé de la proposition de loi - « crapuleuse » et « politique » - ne sont pas des notions juridiques et ne peuvent donc figurer dans un texte de loi. Si nous comprenons l’esprit de votre amendement, nous pensons qu’il n’est pas souhaitable de les introduire dans le texte, dans son intérêt même.

Dès lors, le Gouvernement réaffirme la nécessité de traiter tous les otages de la même façon et sollicite le retrait de votre amendement.

M. le président. Madame Printz, l’amendement n° 1 est-il maintenu ?

Mme Gisèle Printz. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 1 est retiré.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans le texte de la commission.

(La proposition de loi est adoptée.)

- Voir les étapes de la discussion de la loi sur le site du Sénat

 
^ Remonter ^
  1. https://thesanctuarycollective.org/
  2. https://www.otages-du-monde.com/
  3. https://www.endangeredrangers.com/
  4. https://www.hottestmominamerica.com/
  5. https://www.globalinstitutefortomorrow.com/
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