OTAGES SYRIE : Jonathan Alpeyrie : "Mes 81 jours de détention"
Cette semaine, Paris Match publie l’histoire terrible de la captivité et de la libération du photographe franco-américain Jonathan Alpeyrie, détenu pendant 81 jours en Syrie. Découvrez ci-dessous la vidéo exclusive de son témoignage.
Paris Match. Dans quelles conditions avez-vous été capturé ?
Jonathan Alpeyrie. Je suis arrivé à Beyrouth le 22 avril dernier. Mes contacts libanais avaient préparé mon voyage vers Yabroud, à trois heures de route d’Arsal, au Liban, et à un kilomètre de l’autoroute Homs-Damas tenue par le gouvernement. C’est une enclave rebelle qui va jusqu’à Zabadani, où les combats sont très durs. Le 29 avril, j’ai décidé de me rendre dans le sud, à Rankos. Je me déplaçais en pick-up. J’avais un contact avec une katiba [unité de combat] d’une vingtaine d’hommes, avec qui je devais passer la journée. C’était un piège. J’ai été trahi par mon fixeur, qui m’a vendu. Nous sommes partis en voiture en direction du Liban. Après un kilomètre, à un checkpoint, des hommes cagoulés nous ont sortis du véhicule. Ils m’ont mis à genoux et ont fait semblant de m’exécuter de plusieurs coups de feu. Puis ils m’ont bâillonné et menotté.
Nous sommes remontés dans la voiture, le fixeur et moi. Fusil-mitrailleur sur la nuque, nous avons été conduits dans une maison. Là, ils ont vidé mes poches et m’ont confisqué tout mon matériel. Cette fois, ils ont fait semblant d’exécuter mon fixeur. Nous sommes encore remontés dans la voiture pour nous retrouver dans une autre maison. Je suis resté allongé sur le sol, yeux bandés et menotté dans le dos, pendant environ six heures. Les soldats me donnaient des coups de pied, me marchaient dessus en rigolant. Ils essayaient de me briser psychologiquement. Puis un groupe d’hommes est arrivé, tous barbus. Je les ai vus libérer le fixeur. Clairement, ils avaient un accord avec lui. J’ai ensuite passé trois semaines attaché à un lit. Dehors, il y avait des bombardements, surtout de l’artillerie et des roquettes. "Ils m’ont fait subir un simulacre d’égorgement"
Vous étiez donc détenu par des rebelles sous le feu du gouvernement.
Oui. J’ai fini par rencontrer leur chef, Assad, un islamiste. Un jour, ils m’ont fait subir un simulacre d’égorgement. Ils disaient : “Tu es un espion américain. On va t’exécuter.” Ils essayaient de me faire craquer. Je leur répondais : “Je suis journaliste. Allez sur Internet et tapez mon nom, vous verrez bien.” Au bout de trois semaines, j’ai été déplacé dans une villa abandonnée dans la campagne, près de la frontière libanaise. La première semaine, je vivais enchaîné à une fenêtre. A la longue, j’ai tissé des liens d’amitié avec les soldats, surtout les jeunes, pour qu’ils me traitent mieux. Ils ont fini par retirer les chaînes. Autour de la villa, il y avait un enclos où je pouvais marcher sans être vu depuis l’extérieur. Dès qu’il y avait un visiteur, ils m’enfermaient dans une pièce, sinon j’étais libre. De l’autre côté de la route, un immeuble de quatre étages leur servait de QG.
(...)
Quel a été le montant (de la rançon) ?
Quatre cent cinquante mille dollars. Au début, ils en voulaient 700 000, l’homme d’affaires proposait 200 000. Un soir, à Damas, il m’a dit que trop de gens étaient au courant de ma présence. Le lendemain, il m’a fait monter dans le coffre de sa voiture et j’ai passé la frontière comme ça. A 5 heures du matin, j’étais à Beyrouth. Ses hommes m’ont installé dans un de ses appartements. Lui est reparti en Syrie. Ils m’ont demandé de ne pas sortir, me disant qu’il viendrait me chercher à 18 heures. Je me suis débrouillé pour appeler l’ambassade, car il y avait des lignes téléphoniques. Deux gendarmes sont arrivés et m’ont conduit à l’ambassade, dont je ne suis pas sorti pendant quatre jours. Cette négociation est miraculeuse, car mes ravisseurs n’avaient jamais eu l’intention de me libérer.
Interviewé par Régis Le Sommier, directeur adjoint de la rédaction, Jonathan Alpeyrie revient sur les simulacres d’exécution dont il a été l’objet et les chrétiens qu’il a vu torturés à côté de lui. Surtout, il explique l’état désespéré de la rébellion. Sans armes fournies par l’étranger, elle en est réduite à compter les munitions ou à vendre des monnaies antiques pour se financer. En se lançant dans le kidnapping, elle sacrifie sa réputation à l’étranger pour une fuite en avant vers l’Islam le plus radical.