Otages au Niger : la vie malgré l’attente
Mille jours que quatre otages français sont retenus au Niger. Mille jours que leurs proches vivent le cauchemar de l’absence. Entre espoir et impatience, elles se sont confiées à Catherine Robin.
S’imagine-t-on rire ainsi lorsque l’on rencontre des proches d’otages ? Pas vraiment. Et pourtant, si - on se rappelle Florence Aubenas bluffant son monde en plaisantant à sa descente d’avion après cinq mois de séquestration en Irak. Chez Françoise Larribe aussi, le rire est là, sonore et contagieux. Comme la journaliste, elle a été retenue en otage cinq mois dans le Sahel avant d’être libérée, laissant derrière elle son mari, Daniel, ainsi que trois autres Français : Thierry Dol, Marc Féret et Pierre Legrand, enlevés à Arlit, une ville du nord du Niger, le 16 septembre 2010. Il y a plus de mille jours. Presque trois ans. Après de nombreux mois de silence et le déclenchement de l’intervention française au Mali, leurs proches ont décidé d’outrepasser les consignes de discrétion et de crier leur impatience à la face de la France.
Ce 4 juillet, elles sont six femmes réunies à Paris. Épouse, sur, mères, filles d’otages, elles viennent de rencontrer François Hollande, qui les a reçues le matin même à l’Élysée, comme il le fait environ tous les trois mois. Une rencontre qui les laisse toujours lessivées, « comme un marathon psychologique dans un milieu que l’on ne connaît pas », décrit Pascale, la mère de Pierre Legrand. Que leur a dit le Président cette fois ? Elles restent laconiques : « On nous a annoncé que des contacts avaient été pris, raconte Marion, la fille aînée de Françoise et Daniel Larribe. C’est un message plutôt positif par rapport à notre dernière rencontre. » « C’était au moment de l’offensive armée au Mali et nous étions toutes très inquiètes, explique Françoise. Aujourd’hui, c’était plus apaisé. » « De toute façon, on n’a pas d’autre choix que de faire confiance, ajoute Marion. Tout en restant vigilantes. » Car le temps presse : « Nous avons aussi réitéré nos vux pour que leur libération intervienne le plus rapidement possible, car nous savons qu’ils sont en survie », rappelle Françoise. Justement, que savent-elles de leurs conditions de détention ? « Nous savons qu’ils ne sont pas malades, mais éreintés et qu’ils souffrent de la chaleur, décrit Maud, la cadette des surs Larribe. La prochaine étape, c’est la preuve de vie. Et ça, on l’appréhende beaucoup. J’ai peur des images : la voix fragile, le visage brûlé, le corps décharné. » « On attend ces images autant qu’on les craint, lance Christine, la sur de Marc Féret. A chaque fois, leur détresse à eux nous renvoie à notre impuissance à nous. »
Attendre. Vivre, travailler, se divertir.
Avec ce bruit de fond permanent. La résonance de l’absence. Comme un acouphène qui empoisonne le quotidien. « J’y pense tout le temps, raconte Christine. C’est comme si j’avais une deuxième peau. » « J’ai l’impression d’un mode de vie un peu schizophrène. Je vais au boulot, je m’occupe de mes enfants, décrit Marion. Et quand ils sont couchés, je commence ma deuxième journée, consacrée aux otages. C’est psychiquement et physiquement très pesant. » Sa sur, Maud, qui finit son internat de médecine, essaie d’avoir la vie la plus normale possible : « J’aurais préféré que personne ne soit au courant, car c’est parfois difficile de supporter les regards empathiques des gens, mais je n’ai pas eu le choix. » Pascale, elle, se sert de son travail pour essayer de penser à autre chose. « Et parfois, ça marche », sourit-elle. Quant à Marie-Josette, la maman de Thierry Dol, elle commence à fatiguer de ses multiples voyages en métropole depuis l’enlèvement et aimerait que pour le prochain retour en Martinique son fils unique soit à ses côtés.
Car le retour... toutes y pensent. Françoise Larribe leur raconte le sien. La déchirure violente d’avoir dû laisser derrière elle l’homme qu’elle aime depuis quarante ans. Et le tapage difficile à vivre à son arrivée en France. « Lorsque tu rentres, tu ne t’appartiens plus, raconte-t-elle. Tu appartiens aux autres, y compris sur le plan psychologique. Tu ne sais plus vraiment où tu es. Alors, un conseil, quand vous les reverrez, laissez-leur le temps du silence, laissez-les respirer. » Toutes acquiescent, prêtes à donner tout l’air du monde aux futurs ex-otages, dès lors qu’ils auront enfin quitté leurs geôles de sable.
Six femmes suspendues à la libération de leurs proches. De gauche à droite : Marie-Josette, la mère de Thierry Dol ; Christine, la sur de Marc Féret ; Marion, la fille aînée de Daniel Larribe, avec sa mère, Françoise, et sa cadette, Maud ; et Pascale, la mère de Pierre Legrand.