Le 8 mars 1986, 4 journalistes français sont enlevés à Beyrouth : Georges Hansen, Jean-Louis Normandin, Philippe Rochot et Aurel Cornea sont pris en otages au Liban par un groupe armé.Georges Hansen et Philippe Rochot sont libérés trois mois plus tard en juin 86. Puis, c’est au tour d’Aurel Cornea à noël 86. Jean-Louis Normandin quant à lui reste prisonnier jusqu’au 27 novembre 1987, date où il est enfin libéré avec Roger Auques.
Entre 1982 et 1991, plus de 150 rapts d’occidentaux ont lieu au Liban par une trentaine de groupes révolutionnaires. Parmi les otages, 10 trouvent la mort en captivité dont Michel Seurat, chercheur au CNRS, exécuté fin 85 ou début 86.
Jean-Louis Normandin retourne, pour la première fois, sur les lieux de son enlévement pour Complément d’enquête, de France 2.
Voir la video sur France 2 - Un reportage de Joël Bruandet & Vincent Bouffartigue.
- Lire aussi l’interview de Jean-Louis Normandin dans PARIS MATCH Le jour où...
J’ai tenu tête à mes ravisseurs. Par Jean-Louis Normandin.
Le 8 mars 1986, je suis enlevé au Liban avec trois collègues d’Antenne. 2. 628 jours coupé du monde, entièrement à la merci de mes geôliers. Pourtant, un jour, face à un de leurs caprices, j’ai dit « non ». Tout a changé. Un grain de sable pouvait gripper le mécanisme infernal de la détention.
Julien Jouanneau - Parismatch.com -actu-match | Mardi 13 Janvier 2009
Dès le premier jour de l’enlèvement, notre univers avec Philippe Rochot, Georges Hansen et Aurel Cornea se limite à une chaîne et quatre murs. Les journées sont rythmées par trois visites aux toilettes, seuls moments où nous sommes désentravés. Quelques lueurs s’infiltrent par les interstices de la porte et une armada de sons extérieurs nous parviennent, souvent menaçants : déflagration d’obus, impacts de balles contre le mur, le vacarme des chars qui rasent et font frémir notre geôle. Les explosions me glacent le sang. Puis règne le silence. Le casting de nos ravisseurs cagoulés est si éclectique que nous leur affublons entre nous des surnoms : « Mister Goodfood », celui qui nous conseille de bien manger, « Nevermind », celui qui ne nous écoute pas, ou « Bimbo », celui qui s’assoit et tripote des jouets pendant des heures, comme un gosse, avec un kalachnikov à ses côtés. Certains n’ont pas de surnom car ils sont littéralement bêtes et méchants : les plus dangereux.Je conserve étonnamment la notion du temps : je sais qu’on est déjà en juin 1986. Georges et Philippe ont été déplacés il y a quelques jours, je ne sais où. Un après-midi, je tire vigoureusement sur ma chaîne de bagnard de 2 mètres, attachée à un radiateur fixé au mur, et je parviens à coller l’oreille sur la porte. Je risque de me faire surprendre. Je discerne des cris, les exclamations typiques d’un... match de foot. Le quart de finale de la Coupe du monde, entre la France et le Brésil, à la télé ! Je perçois une voix distincte, celle de Jacques Chirac ! Le Premier ministre annonce la libération de Rochot et Hansen ! Je reste bouche bée, le front contre la porte. Jamais je ne les aurais imaginés libres. L’espoir ne meurt donc pas. Cette délivrance confirme que nos ravisseurs ne sont que de purs menteurs, guidés par la volonté perverse de désinformer. Mais l’idée d’évasion nous apparaît trop compliquée, voire suicidaire. Difficile de tuer des militaires armés alors qu’on a perdu une dizaine de kilos, puis d’errer barbus en pyjama dans les rues d’un quartier qui nous est inconnu. Mieux vaut ne pas risquer une exécution, cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.
Mars 1987, Aurel est libre depuis trois mois. Je me retrouve avec deux compagnons d’infortune américains. J’imagine sans cesse la manière dont je vais mourir. Résultat, je n’ai plus aucun rapport à la réalité, la sensation de néant perdure et je m’interdis toute émotion. Je me transforme en une espèce de sous-marin, où je peux enfouir tous mes sentiments et mes souvenirs pour réussir à survivre. Le plus pénible est de sauvegarder ma santé mentale. Nos ravisseurs jouent avec nos nerfs : ils se relaient de façon irrégulière, par équipes de trois ou quatre, et je dois recommencer le processus d’« apprivoisement » avec chaque nouvelle équipe. Dissimulés par leur cagoule qui ne laisse entrevoir que leurs yeux et leurs lèvres, ils finissent par oublier les principes mêmes d’humanité. Ainsi, l’un d’eux veut, pour s’amuser, nous faire faire du sport. Il intime l’ordre à un des deux Américains, 60 ans, enchaîné et épuisé, d’effectuer des pompes. Je reste debout, le regard fixe. L’homme cagoulé claque des doigts pour me signifier « couche-toi ». Sous le coup de la colère, je lui rétorque en français : « Non, je ne me couche pas, et si tu veux, tu tires, fais ce que tu veux, mais je ne me couche pas. Tu n’as qu’à tirer. » Je l’affronte les yeux dans les yeux. Déconcerté, il se crispe et tourne les talons. En situation normale, je serais incapable de dire ça. Mais le désespoir et la dignité façonnent la détermination. Plusieurs minutes défilent. Je suis susceptible de recevoir une rafale en plein crâne. Un brouhaha émerge derrière la porte. Elle s’ouvre. Quatre ou cinq ravisseurs pénètrent et me font face, kalachnikov à la main. Ce sont visiblement des chefs. Je crois mon heure sonnée. Mais une discussion s’engage, qui dure trente minutes. Je réponds et explique que je n’admets pas un tel comportement, mais que je les respecte. Je reste ferme, leur rappelle que je ne fais pas de crise de nerfs, que je ne tombe jamais malade et que je suis, si l’on peut dire, un otage modèle. Mais qui a droit à son périmètre. Tout change : je deviens un interlocuteur, le « leader syndical » de notre groupe. J’instaure une espèce de contrat de confiance. Ce ne sera qu’un grain de sable dans le mécanisme infernal de ma détention, mais c’est lui qui va me permettre de tenir pendant les huit mois qui me restent à « tirer ». Dans les moments de silence, je m’imagine réfugié dans une maison sur une île, comme un retour en moi. Après ma libération, en novembre 1987, je finis par habiter sur l’île aux Moines. Personne ne peut prendre les rêves en otages.
Agé de 56 ans, Jean-Louis Normandin est rédacteur en chef adjoint à France 2. Il est retourné sur les lieux de son enlèvement pour la première fois en 1996 avec son fils Antoine. Il est le vice-président d’Otages du monde (www.otages-du-monde.com ), qui entend sensibiliser le public à la situation des prises d’otages, et aider les otages libérés et leurs familles.